Le film avec Sebastian Stan, projeté en compétition officielle, se penche sur les coulisses seventies de la dynastie Trump.
Après un message très politisé à la fin de la projection de The Apprentice, présenté en compétition officielle, Ali Abbasi, accompagné d’une partie de son équipe, est revenu sur un film en rupture complète avec ses réalisations précédentes, Shelley, Border et Les Nuits de Mashhad, toutes fondamentalement ancrées dans le contexte socio-politique de son pays d’origine, l’Iran.
Sebastian Stan (Donald Trump), Maria Bakalova (Ivana Trump) et Martin Donovan (Fred Trump Sr.) étaient tous présents pour parler de leurs personnages. Un nom manquait cependant à l’appel : celui de Jeremy Strong, acteur popularisé pour son rôle de Kendall Roy dans Succession, et qui, selon notre premier retour, “crève l’écran” en incarnant un autre Roy, Cohn, cette fois-ci.
Cannes 2024 - Jour 7 : la tombe de Cronenberg, l'interview d'Audiard, la célébration de GhibliL’interprète de l’avocat et mentor de l’ancien président des Etats-Unis a néanmoins tenu à adresser un message à l’assemblée, lu par le réalisateur. Strong y exprime ses regrets de ne pas pouvoir assister à la conférence de presse. Il est actuellement à Broadway, où il participe à une pièce intitulée "An Enemy of the People", écrite par Henrik Ibsen. Une expression utilisée, entre autres, par Staline, et plus récemment, par Donald Trump, alors qu’il dénonçait la presse libre et pointait les soi-disant “fake news” de certaines chaînes de télévision.
“Evidemment, nous ne sommes pas partisans,” ironise Ali Abbasi en guise de conclusion à ce message.
Une remarque qui provoque quelques rires dans l’assistance, étant donné le sujet de ce film, qui montre les débuts de Donald et l'état du reste de la dynastie Trump dans les années 1970, comme un écho au temps présent.
Une intrigue qui reposait ainsi beaucoup sur la capacité des acteurs à incarner l’essence de leurs personnages, sans tomber dans la caricature. Pour Sebastian Stan, le mot d’ordre était “immersion”. L’acteur explique ainsi “avoir vécu avec [Trump], peu importe ce qu’il faisait”, suivant un processus “d’immersion 24 heures sur 24, 7 jours sur 7”.
Lorsqu’on lui demande s’il pense que son personnage a un code d’honneur, il répond : “C'est un être humain comme les autres, nous avons tous certains codes”. Reste à définir quel est ce code, tient-il néanmoins à préciser. Plus tard, il reviendra sur cette humanisation de Donald Trump :
“J'ai commencé par le scénario. Il y a tellement de choses que j'ignorais et qui m'ont surpris. Il y a bien sûr un éléphant dans la pièce, mais une fois qu'on l'a dépassé et qu'on est revenu au début, beaucoup de choses font sens.”
“Il y a toujours quelque chose à apprendre”, dit-il, avant de faire écho aux paroles d’Abbasi de la veille :
“Nous devons nous attaquer à des sujets risqués et difficiles à aborder. Nous y sommes confrontés tous les jours. Nous devons avoir une perspective, nous confronter les uns aux autres, en espérant que cela se fasse de manière pacifique.”
Tout comme ses partenaires de jeu, Sebastian Stan a pu s’appuyer sur des archives d’interviews ou de prises de parole pour aborder sa performance. “C'était une aide précieuse,” assure l’acteur. Un sentiment partagé par Martin Donovan : “La production a trouvé une vidéo de lui acceptant un prix. Je l'ai jouée en boucle, j'ai repris son rythme et j'ai continué à partir de là," raconte le comédien qu’on a pu voir dans Big Little Lies.
“Honnêtement, je ne suis pas né dans sa classe, mais j'ai été élevé avec des gens qui pensent comme lui, développe-t-il. On a fait beaucoup d’impro, et je puisais dans ces personnes auprès desquelles j’ai grandi. J'ai côtoyé des racistes, je sais comment ces gens pensent. C'était terriblement facile d'y accéder. Les positions de Fred [Trump Jr.] sont endémiques à la classe dirigeante blanche.”
Maria Bakalova, qui prête ses traits à Ivana Trump, la première épouse de Donald Trump, parle de son personnage comme d’une femme “bien trop en avance sur son temps” à l’aura presque “légendaire”. “Vous voulez les jouer avec profondeur et dignité, vous voulez jouer la bonne personne,” explique-t-elle. Jeune actrice bulgare devenue célèbre grâce à Borat 2, elle confie se sentir “honorée” d’avoir pu faire ce film.
“Il est encore rare d'obtenir ce genre d'audition si l'on vient de cette partie du monde. J'ai grandi sans me reconnaître à l'écran. Je veux étendre la collaboration entre l'Est et l'Ouest.”
Si Jeremy Strong n’a pas pu répondre aux questions sur son personnage, Ali Abbasi et Gabriel Sherman, à qui l’on doit le scénario, s’en sont chargés. Lorsqu’il s’agit de savoir pourquoi et comment s’est construite l’empathie autour de ce personnage, pourtant historiquement répréhensible, Sherman déclare :
“Il y a plusieurs grands moments charnières dans le film, dont celui où Donald met à la porte de l'hôtel l'ancien amant de Roy. C'est une vraie anecdote qui résume bien la façon d'être de Donald. Je voulais que le film aboutisse à l'un de ces moments. Si vous pouvez ressentir de l'empathie pour Roy, cela en dit long sur Donald.”
Semblant faire allusion à "l’affaire Lars Von Trier", qui avait exprimé sa “sympathie” pour Adolf Hitler, Ali Abbasi rebondit sur l’idée de l’empathie :
“Personne n'a pu le sauver, mais il y a une part de vérité là-dedans : ce sont des êtres humains. S'il y a une idéologie dans ce film, c'est une idéologie humaniste. Déconstruire cette image mythologique pour en faire des êtres humains terrestres. Cela implique de l'empathie et de la compréhension. Cela ne veut pas dire que l'on oublie quoi que ce soit. S'il y a un élément cathartique, c'est bien celui-là.”
Le réalisateur iranien déclare d’ailleurs être très admiratif de la façon dont ses acteurs ne se sont pas laissés contaminer par l’aspect caricatural des personnalités qu’ils incarnent :
“On a l'impression que ces personnes ont vécu quatre vies différentes. Si vous regardez l’évolution de Trump, à chaque décennie, c'est une personne différente. Il faut choisir le moment qui correspond à l'époque où nous faisons les choses. Il y a un million de façons d’incarner ce type. Je ne sais toujours pas comment nous n'avons pas fini au SNL.”
Explorant un peu plus en avant sa conception de la fiction et de la réalité, Abbasi se lance dans une véritable leçon de cinéma sur la mise en application de ces deux concepts :
“Quelqu'un a écrit que ça ressemblait à un téléfilm de merde et je me suis dit : 'T'as tout compris !'. Le concept de réalité dans les films est tellement compliqué et souvent tellement plat. En ce moment, il y a enfin un vrai débat sur ce qui est réel et ce qui ne l'est pas. Le langage de la réalité tel que nous le connaissons provient surtout des archives.”
Puis c’est sur le montage qu’il exprime ensuite un avis tranché :
“En tant que réalisateur, je suis le représentant d'une équipe. Une grande partie du processus de réflexion, du rythme, des décisions importantes sont prises au montage. [...] Si l'on est plus de deux, on peut avoir un débat plutôt que de faire reposer la décision sur une question de goût. J'essaie de sortir de mes propres goûts lorsque je fais des films."
Pour The Apprentice, il explique avoir voulu prendre le contre-pied de ses projets précédents :
“Je me suis dit que j'allais faire un p*tain de film rapide. Il fallait qu'il ait ce rythme effréné, qu'il donne l'impression d'être court. Sur le plateau, nous ne voulions pas nous engager sur un timing spécifique.”
Il en profite également pour faire une petite pique aux producteurs : “L'ère du cinéma muet est révolue, plus personne ne monte un film en douze semaines, trente-cinq semaines c’est un bon début”. Ce à quoi l’un des ses producteurs réagit, expliquant que ce film Ali Abbasi leur a fourni le double, voire le triple de ce avec quoi la post-production travaille normalement, les amenant à embaucher un autre monteur, Olivier Bugge Coutté, qui a beaucoup travaillé avec Joachim Trier, le réalisateur de Julie (en 12 chapitres).
L’équipe n’a pas cherché à éviter les questions les plus polémiques. Au contraire, Ali Abbasi a ouvert les hostilités en soulignant que la production avait trouvé “la meilleure des promo : la présidentielle américaine”. La prochaine élection aura effectivement lieu le 5 novembre 2024.
Lorsqu'on aborde le procès que Donald Trump menace de lui faire, le réalisateur répond du tac-au-tac : “Tout le monde parle du fait qu'il a poursuivi beaucoup de gens, mais personne ne parle de son taux de réussite”. “On lui conseille d'abord de voir le film”, ajoute quelqu’un de la production. Une proposition que soutient Abbasi, affirmant même être prêt à le rencontrer pour en parler. “Je ne pense pas nécessairement que c'est un film qu'il pourrait aimer ou détester, mais je pense qu'il serait surpris.”
Une légèreté qui ne les empêche pas d’aborder le mal qu’ils ont eu à réaliser le projet. Gabriel Sherman explique qu’il y a sept ans, alors qu’il essayait de vendre son scénario, des personnes très puissantes du milieu lui avaient conseillé de ne pas le faire. “Si Trump perd, peut-être qu’on pourra en reparler,” raconte-t-il s'être entendu dire. “Faire un film comme celui-ci est un défi. Hollywood n'a pas l'intention de faire de l'esbroufe.”
D’ailleurs, ce n’est pas un film hollywoodien, ni “un film américain” comme l'assène Ali Abbasi, qui aura d’ailleurs le mot de la fin de cette conférence de presse :
Cannes 2024 - The Apprentice : l'origin story de Donald Trump [critique]“Ce n'est vraiment pas un film sur Donald Trump. C'est un film sur un système, comment il fonctionne, comment il est construit, comment le pouvoir le traverse. Roy Cohn le savait, il l'a appris à Donald Trump. L’idée qu’il y a un fossé très net aux Etats-Unis entre les conservateurs et les libéraux, c'est un fantasme. Les gens des deux camps font les mêmes écoles, vont aux mêmes événements. Oui, il y a deux parties aux Etats-Unis mais ce sont : les gagnants et les perdants.”
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