The Apprentice Ali Abbasi Cannes 2024
APPRENTICE PRODUCTIONS ONTARIO INC. / PROFILE PRODUCTIONS 2 APS / TAILORED FILMS LTD. 2023

L’interprète de Donald Trump et son réalisateur reviennent sur la fabrication de ce film, du personnage et de la scène de viol conjugal qui a beaucoup fait parler sur la Croisette

Comment naît l’envie de consacrer un film à Donald Trump ?

Ali Abbasi: Je vois d’une certaine manière cette histoire comme le prolongement de Border que j’avais présenté ici- même à Cannes, dans la section Un Certain Regard : une tentative d’aller chercher l’humanité à des endroits où elle paraît totalement absente. Je sais que beaucoup de gens voient Donald Trump comme un monstre. Ce n’est pas mon cas et avec ce film, je pars donc en quête de la part d’humanité en lui. Pas pour l’héroïser ou justifier quoi que ce soit de ce qu’il a pu dire et faire mais pour montrer qu’au fond, il est le produit d’un système poussé à son extrême. Ce système américain et sa logique « the winner takes it all » qui ne laisse aucune place aux perdants. Une obsession du succès à tout prix qui provoque dérives et dommages collatéraux en cascade, dont Donald Trump représente donc le symbole. Et je crois que ma position de cinéaste non – américain me donne le recul pour le faire.

Comment avez- vous construit ce personnage avec Sebastian Stan ?

AA : On a vécu quelque chose de particulier avec ce film. Une aventure au long cours dont on a commencé à parler tous les deux il y a plus de cinq ans avant qu’elle soit percutée par la pandémie puis par l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021 qui, même si The Apprentice ne traite pas cette époque, a forcément eu un impact sur le film. Mais je me souviens très bien de la première direction que j’ai donnée à Sebastian et qui n’a pas bougé d’un iota tout au long du processus : incarner Donald Trump dans cette période- là de sa vie, c’est comme nager dans une piscine très peu profonde, où tes genoux raclent le fond. A la différence de son mentor, Roy Cohn, où l’amplitude des choses à jouer, du rapace qui semble insubmersible au malade du SIDA ayant perdu tout pouvoir, Sebastian n’allait pas pouvoir bénéficier de cette profondeur- là. Et donc délivrer une composition où tout doit passer par une nuance extrême, pour faire vivre des choses qui, dans le scénario, ne sont pas forcément lisibles. Le tout sans verser dans la caricature et faire donc un contre- sens par rapport au scénario. C’est un travail de comédien de dingue !

THE APPRENTICE: L'ORIGIN STORY DE DONALD TRUMP [CRITIQUE]

Sebastian, comment l’avez- vous appréhendé vous ?

Sebastian Stan : Ce scénario m’a replongé dans le souvenir de ma première visite à New- York avec ma mère, alors que j’avais 12 ans, juste avant qu’on ne s’y installe. Pour moi qui suis né en Roumanie, l’Amérique représentait alors une sorte de Terre promise, l’exact inverse de ce que nous vivions sous un régime communiste. L’American dream dans toute sa splendeur. « Le pays où tu te dois de devenir quelqu’un » me répétait ma mère car rien ne semblait impossible. Et au fond, bien qu’Américain, Trump n’est pas si différent du petit gamin roumain que j’étais. Sauf que lui, contrairement à ce que j’ai pu faire, n’a jamais questionné la face noire du rêve, le coût d’un tel côté « marche ou crève ». Chez lui, la notion de bien et de mal disparaît derrière l’obsession de gagner toujours plus. C’est ce qui m’a guidé dans la composition de son personnage

Une scène de The Apprentice a particulièrement été commentée depuis la projection du film avant- hier, celle du viol commis par Trump sur sa femme Ivana. Comment l’avez- vous mise en scène ?

AA : Comme je l’aurais fait pour une cascade avec la même considération pour la sécurité et l’aisance de Sebastian et Maria (Balakova) qui allaient la tourner. On répète énormément, chaque geste est décortiqué et validé pour qu’au moment du tournage, les comédiens puissent se concentrer sur ce que doit dégager émotionnellement cette scène et rien d’autre. D’ailleurs, à ce moment- là, je ne parle quasiment pas. Acteurs comme équipe technique, tout le monde sait ce qu’il a à faire. Mais il se trouve que ce jour- là, tout a été particulièrement galère. Pour des questions de raccord notamment des bijoux que portait Ivana Trump dans la scène précédente. Donc je n’ai sincèrement pas eu le temps de penser ce que Donald Trump et son équipe allaient penser de cette scène. C’est vraiment avant- hier, pendant la projection, que tout cela a soudain surgi en moi ! Car, évidemment en décidant de la filmer, je prends une responsabilité et j’ai conscience de toucher à quelque chose d’extrêmement sensible. Mais je le fais justement en conscience. D’abord parce que cette scène a réellement eu lieu. Ensuite parce que ça raconte quelque chose d’essentiel du personnage. De sa violence. De sa soif de pouvoir, de domination qui passe ici par le sexe. Je ne voulais pas m’auto- censurer ni en rajouter mais rester dans un réalisme glaçant.

Cette responsabilité d’incarner une personne encore en vie, comment l’avez-vous appréhendée, Sebastian ?

SS : De la même manière qu’à chaque fois que j’ai eu à m’y confronter dans mon parcours. Avec malgré tout ici un élément particulier. Tout le monde a un avis sur Trump et chacun attend donc que mon interprétation et plus largement le film correspondent à ce qu’il a en tête. Mon travail consiste donc à faire fi de tout ça, à le chasser de mon esprit pour construire le Trump tel que le scénario le raconte

Ce film, c’est aussi un duo. Celui de Trump et de son mentor Roy Cohn qu’il va peu à peu dévorer, donc de Sebastian Stan avec Jeremy Strong…

AA : Je suis vraiment triste que Jeremy n’ait pas pu être présent avec nous à Cannes pour voir et entendre l’enthousiasme combien mérité autour de sa prestation. Contrairement à Sebastian, il est monté à bord du projet très tardivement. Ce qui rend ce qu’il fait encore plus impressionnant. Mais ce qui m’a frappé c’est ce qui s’est passé entre lui et Sebastian sur le plateau. Leur complicité alors que leurs méthodes de travail sont à l’opposé et surtout leur capacité à se surprendre l’un l’autre en permanence. Ca a emmené encore plus loin chaque scène où ils se font face.

The Apprentice. De Ali Abassi. Avec Sebastian Stan, Jeremy Strong, Iona Rose MacKay. Durée : 2h