Pourquoi j'ai pas mangé mon père peut presque se lire comme une autobiographie. Je vois ce que tu veux dire, mais… Tu sais quoi ? Encore plus que l’histoire c’est la motion capture qui m’a fait délirer là-dedans. Un plateau de 1000 mètres carré, 70 caméras à 360 degrés : une liberté de mouvement totale. J’ai rien contre le cinoche, j’adore le cinoche, mais la mocap, c’est ce qui se rapproche le plus de la scène. Pour un mec aussi impatient que moi, le cinéma, c’est une torture, un endroit d’attente... Là, ça m’a fait délirer et basculer. Le champ des possibles. La liberté de mouvement. Y a plus de raccords… Beaucoup de comédiens ont peur de la mocap, mais c’est là où tu t’éclates le plus quand tu dois jouer. C’est tellement spontané, quand tu dois faire rire les gens, il ne faut pas qu’on te coupe dans ton élan.
Tous les comédiens qui ont essayé la mocap disent que c’est formidable. Moi, c’est fini : c’est ma nouvelle forme d’expression. Tu sais ce qui m’a fait basculer ? J’ai montré un test à mon fils. Il avait neuf mois. Ma mère était là, elle avait les larmes aux yeux. Mon fils il regarde le test et il me regarde. « Mon père c’est un singe ou il est là ? » Neuf mois.
T’as dévié. On parlait de la part autobiographique… Elle était beaucoup plus présente dans les précédentes versions. A tel point que j’ai repoussé le tournage de six ou sept mois. Pour réécrire les seconds rôles, justement. Tu sais comment j’ai écrit les seconds rôles ? Avec les acteurs. Christian Hecq de la comédie française. J’ai pris que des danseurs. Peu de pro. Christian Hecq, Patrice Thibaud un roi de la pantomime, Youssef Haidji qui commence à être connu, Julie Villemond qui a un peu préparé tout le monde et Cyril Cazemèze magnifique qui nous a aidés à trouver notre singe. En France, faut que tu saches un truc. Quand tu demandes juste à un comédien « mets toi à quatre pattes » Rien que ça… « Mets toi à 4 pattes et fais ça (il se déplace). » Déjà physiquement, c’est compliqué… Mais « Et maintenant balance une réplique en même temps. » C’est impossible. Il n’y a que les danseurs qui en sont capables. De parler, de danser, de parler. Les acteurs américains, eux, ont cette culture de l’entertainment.
Tu comprends qu’on dise que le film est troublant dans ce qu’il exprime de toi et ta manière de te regarder ? Un jeune exclu qui devient un leader politique et à la fin se transforme quasiment en Moïse. Tu vas dire que j’exagère, mais on peut vraiment le voir comme ça. Tu as le droit de tout dire. Si tu savais ce que je pense de E.T....
Mais Spielberg le fait précisément en pensant à ça, à sa dimension religieuse. Moi non. Edouard, c’est pas un leader politique, encore moins Moïse. Je me suis inspiré de ma mère, plutôt. Dans ma propre famille, j’ai été confronté à ceux qui sont pour le futur et ceux qui sont pour le passé. Mais moi, je suis profondément pour le présent. Edouard, mon héros, il est aussi pour le présent. Quand il trouve le feu il fait « Ouahhhh. » Ça, c’est être dans le présent. Les autres ont peur de ce qui va leur arriver, ils sont déjà dans le futur. Lui, il est moteur de sa propre vie. C’est cette valeur là que j’ai gardée de ma mère et j’essaie de m’en servir à bon escient. Mais jamais comme un leader politique. C’est l’histoire d’un mec qui se casse le bras, tombe de son arbre et invente la bipédie pour compenser et s’en sortir. Mais c’est surtout l’histoire d’un type qui n’est jamais invité à la fête et qui a farouchement envie d’en faire partie. Mais on ne veut pas de lui. Alors ce qu’il fait, c’est qu’il organise sa propre fête, et tout le monde vient. C’est ce que j’ai vécu. Un des superpouvoirs de l’homme c’est son optimisme, même s’il ne s’en sert pas assez. De ce positivisme nait des trucs incroyables. Moi, je le cultive comme un muscle. Rire, ça se travaille et c’est génial. Comme disait Voltaire, c’est mieux pour la santé.
Interview Gaël Golhen et François Grelet
Extrait d'un entretien à paraître dans le nouveau numéro de Première, dès demain dans les kiosques.
Pourquoi j'ai pas mangé mon père : l'histoire d'un film qui a pris un quart de siècle
Pourquoi j'ai pas mangé mon père de Jamel Debbouze sort dans les salles le 8 avril. Bande-annonce :
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