DR

Qu’est ce que le Festival d’Avignon ?Il est double. Il y a le In, issu du premier festival, créé en 1947 par Jeanne Laurent et Jean Vilar. C’était alors un véritable théâtre national populaire. Il est soutenu par l’Etat, ce qui implique un certain confort. En 1966, un autre, plus alternatif, a vu le jour, sous l’impulsion d’André Benedetto : le Off, festival libre et indépendant. Le Off porte en lui l’impulsion de 68 ! Exactement. Benedetto s’était dit : « Je suis un créateur, Avignon est ma ville, pourquoi ne pas y jouer pendant le festival. » Deux ans plus tard, en 68, trois compagnies ont suivi. Dix ans après, on en comptait 50 et en 1983, 90. Devant cette croissance, il a donc fallu s’organiser ?C’est cette année-là qu’Alain Léonard, acteur, directeur et metteur en scène, a proposé « aux copains » d’éditer un programme des spectacles inscrits dans le Off. La croissance ne s’est jamais démentie car, en 1998, il y en avait 450. Pour l’édition de 2012, nous accueillons 975 compagnies et 1 161 spectacles. Pendant plusieurs années l’augmentation a été régulière, de 15 % par an, pas cette année. Le festival engendre 500 créations. Où se jouent tous ces spectacles ?Dans 117 lieux, plus ou moins improbables, comme une cour d’école, une vieille chapelle, une ancienne laverie, un vrai théâtre. Cela suppose un éventail remarquable de spectacles. Et je dis qu’il vaut mieux 117 théâtres, que 117 casernes militaires ! Le Off, c’est plus de 300 000 spectateurs, un million d’entrées et 7 000 artistes (comédiens, metteurs en scène, techniciens…). Il y a une grande diversité de propositions. Et finalement, il n’y a pas tant de one-man et comédies de café-théâtre que cela. Il y a de plus en plus de spectacles et de plus en plus de spectateurs ?C’est l’histoire de l’œuf et de la poule ! Est-ce le nombre de compagnies ou le nombre de spectateurs qui génère cette augmentation ? Tous les gens de théâtre, des artistes aux spectateurs, en passant par les programmateurs, les directeurs de salle et le public se donnent rendez-vous là. On y trouve aussi toutes les esthétiques du théâtre et la diversité des régions. Et toute la ville bat au rythme des spectacles…C’est la seule du monde où à chaque coin de rues, dans chaque restaurant, on parle de théâtre. C’est assez exceptionnel. La vertu cardinale du Off est cette démocratisation. Vous croisez un comédien qui tracte pour son spectacle, vous n’avez jamais été au théâtre de votre vie et, par cette rencontre, vous franchissez le pas. Tout est investi pour cette communion et je tiens à dire que ce n‘est pas une messe. Il est bien que tout le monde puisse accéder à la culture, car comme le dit Artaud : « C’est un moyen de comprendre et d’exercer la vie. » Que viennent chercher les compagnies ?Premièrement vendre leur spectacle. Il existe un marché du livre, du cinéma, de la BD, pourquoi pas un pour le théâtre. Deuxièmement, la possibilité de jouer sur la durée, c’est-à-dire tous les jours pendant un mois. Troisièmement, celle de se produire devant un public de connaisseurs, exigeant, qui n’a pas peur de découvrir. Quatrièmement, obtenir un article de presse, même un entrefilet, qui prouve leur existence. Et cinquièmement, le croisement des imaginaires. Crée-t-on de la même manière selon la région où l’on vit ? C’est tout cela qui fait le succès du Off. Quel est votre rôle ?Je suis le président d’une chose improbable. Le changement a eu lieu en 2006, lorsqu’on s’est dit que le Off n’était pas uniquement un fourre-tout rassemblé dans un programme. Il y a une véritable dynamique artistique qui n’existe nulle part ailleurs. Il nous faut rendre le Off plus visible. Les gens de théâtre sont en résonance avec le monde. De nombreuses rencontres sont organisées car dans ce bouillonnement artistique, il faut trouver des choses à dire, à penser. Je sais qu’à un moment la question de l’intermittence va se poser. Comment créer sans argent ? Nous avons aussi une charte des lieux et des compagnies. Comment faire évoluer l’association ?Nous sommes à la croisée des chemins. La dynamique culturelle change. On ne demande pas d’argent à l’Etat, même si je rêve que l’on soit plus de trois à l’année au bureau du Off. Le reste est basé sur le bénévolat. Mais si l’Etat ne peut pas tout, est-il possible de trouver des moyens sans définir un projet particulier, sans une aide ? Le Off s’autofinance avec les cartes d’abonnement qui permettent de voir plusieurs spectacles. Nous en avons vendu l’année dernière plus de 40 000. C’est magnifique ! Mais cette source peut se tarir. Un souvenir marquant…En 2004, je suis devant mon théâtre, la Chapelle du Verbe Incarné, deux dames passent, l’une s’arrête, la deuxième lui dit : « Non pas là, c’est le Off. » L’année suivante, deux autres passent et l’une d’entre elles dit : « C’est quand même pas mal ce qui se passe dans le Off. »