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Arthur, un scientifique américain, part au Japon pour mettre fin à ses jours dans la magnifique forêt de Aokigahara, véritable hot spot du suicide nippon. Avant le dernier moment, il rencontre un survivant errant dans les bois, Takumi, et leurs destins vont se retrouver liés. Alors qu’ils cherchent la sortie de la forêt, Arthur va se remémorer ce qui l’a amené à Aokigahara… Dès les premiers plans, le film pose un problème avec ce titre anglais -Sea of Trees- qui apparaît sur une mer d’arbres : cette redondance sera le premier caillou que sème le script balourd de Chris Sparling, plus connu pour avoir écrit le malin Buried avec Ryan Reynolds, série B high concept qui enterrait un acteur dans un cercueil. Autre lieu, autre star dans La Forêt des songes. Au tour de Matthew McConaughey de s’enterrer prématurément. Même avant son Oscar pour Dallas Buyers Club, McC était toujours menacé par le rôle casse-gueule où il devrait se lancer sans filet, sans l’ironie et la distance qui protègent ses meilleures perfs. Autant le dire cash, Matthew est le boulet de Sea of Trees, déployant avec la subtilité d’une moissonneuse-batteuse son registre de grognon-sensible, pas aidé par son personnage de scientifique tenté par le seppuku et forcément incapable de répondre à la Question qui gratte (Dieu existe-t-il ?). En flash-back, ses scènes de ménage avec Naomi Watts en femme cancéreuse ET chiante ET alcoolique (la surécriture, ce fléau) sonnent particulièrement faux et ça fait mal vu le niveau d’amour qu’on porte à ces deux-là en général.

Le message du film -car il s’agit d’un film à message : la vie est trop précieuse/fragile pour perdre son temps à s’engueuler, et nos disparus nous aident à supporter les moments les plus sombres de l’existence. Le niveau du fond est donc extrêmement bas, mais on fait parfois des chefs-d’oeuvres avec des sujets autrement plus faibles ou absurdes. Mais La Forêt des songes est bel et bien un affreux mélo pur sucre où Gus Van Sant se laisse aller à ses pires travers. Incapable de tisser son sujet avec élégance, ethnocentré (le fantômatique Takumi n’est qu’un faire-valoir du touriste suicidaire yankee), plombé par une symbolique des plus subtiles (Hansel et Gretel, m’voyez ?), La Forêt sombre. Et sa musique assourdissante dérange et le silence de la forêt (réputée au Japon pour sa quiétude élégiaque) et la force du sujet (le deuil et comment l’affronter). Pis que tout, La Forêt des songes est interminable, avec pas moins de quatre conclusions différentes qui achèvent de rendre le trip bien bad. Thierry Frémaux promettait que le Van Sant -vainqueur de la Palme en 2003 pour Elephant- serait "un film sur deux désirs a priori contraires : le désir de mourir et la volonté de laisser une trace". Deux désirs comblés à la première projection cannoise, ce vendredi soir : lorsque la dernière des fins s’est enfin achevée, des huées -les premières de Cannes 2015, soyez témoins- ont retenti dans la salle. Des hurlements provoqués en réalité en réaction aux quelques timides qui ont tenté d’applaudir le film. Ils étaient peu nombreux.

Sylvestre Picard (@sylvestrepicard)