Hou Hsiao-hsien est un esthète de la durée, un adepte de plan-séquences fixes en plans larges dans lequel il sculpte des images fourmillant de détails mouvants. Voilà pour les mises en gardes. Mais dès lors qu’on s’est fait à l’idée de cette temporalité particulière, on peut se laisser prendre par ce flamboyant récit médiéval. (...) On nage en plein brouillard. Mais ce n’est pas bien grave. Le mystère fait partie intégrante de The Assassin. C’est sa matière première. Il s’agit non pas de le résoudre, mais au contraire de le creuser à même l’écran. Les couches d’étoffes plus ou moins transparentes, comme les éléments (brume, flux aquatique, vapeur, fumée), forment les strates sophistiquées d’un véritable mille-feuille visuel, où le regard, sans cesse stimulé comme dans un film en 3D, peut se perdre et se nourrir à foison.
Car la fixité des plans permet d’en révéler la picturalité, mais aussi le mouvement intérieur. Il y a toujours quelque chose qui bouge à l’image, un élément inconnu qui se dévoile, ou au contraire, qui s’évanouit. Les scènes d’action, brusques, imprévisibles et coupantes comme une lame de sabre, jouent également avec ce balancement perpétuel de disparition / révélation, faisant clignoter le corps des combattants à travers les troncs blancs des bouleaux ou le relief de paysages-peintures stupéfiants de beauté : on reste ainsi rivé à l’image comme devant un tour de magie sans truc, dans l’attente fébrile de la prochaine déflagration. Un choc esthétique, on vous dit.
Première
par Gérard Delorme
S’inspirant des romans d’arts martiaux de la dynastie Tang (les mêmes qui ont inspiré les somptueux wu xia pian de King Hu), Hou Hsiao-hsien a pris son temps (une dizaine d’années de préparation) pour en donner son interprétation très personnelle. Le résultat est splendide, mais potentiellement déroutant : il se voit moins comme un récit conventionnel rempli d’action que comme un opéra qui se comprendrait mieux accompagné d’un livret. Les ellipses sont nombreuses et la logique fuyante, mais les paysages, les sons, la musique et les gestes sont suffi samment éloquents pour exprimer la discrète et intense beauté de ce drame intime, résumé par la conclusion qu’adresse la nonne à son élève : "L’art des armes est sans cœur. Ta technique est irréprochable, mais ton âme est gouvernée par tes sentiments."