- Fluctuat
Il y a une génération de cela, nous raconte Moufida Tlatli, à Djerba en Tunisie, les femmes attendaient onze mois par an le retour de leurs maris partis travailler en ville. Ainsi Aïcha (Rabiaa Ben Abdallah) attend-t-elle la saison des hommes dans la grande maison de sa belle-mère, en compagnie de ses belles-soeurs et des enfants. La résignation, qualité indispensable de ces femmes cloîtrées, lui fait défaut.
Son désir de partir s'accroît au fil des années. Bientôt Saïd (Ezzedine Gennoun) la trouvera impatiente, presque vindicative et rebelle à l'autorité que traditionnellement sa belle-mère doit avoir sur elle. Avant que la saison des hommes ne tourne au cauchemar il l'emmènera à Tunis avec ses deux filles, son fils nouveau-né et Zeineb (Sarah Bouzouita) l'amie fidèle d'Aïcha.Dans ce schéma socio-relationnel, une étrange confusion s'opère entre un désir sensuel et tendre de la femme pour l'homme auquel elle est mariée et un désir d'émancipation où l'homme n'est plus qu'un outil pour se libérer de sa mère. Les deux faces de ce désir sont incarnées par Zeineb et Aïcha. L'une a vu son mari partir au lendemain du mariage. Il n'est jamais revenu et, depuis sept ans, l'a laissé enfermée dans une chasteté qu'elle tolère avec difficulté. L'oeil de Moufida Tlatli, attentif aux bouleversements que la frustration provoque dans ce personnage, nous livre des scènes de vapeurs, d'évanouissements hystériques d'autant plus terribles que tout demeure contenu dans le corps de l'actrice.
L'autre a conclu avec son mari un pacte selon lequel elle le suivra si elle produit assez de tapis pour qu'il fasse fortune à Tunis, et si elle lui donne un fils. Les deux forment un ensemble acéré, un mouvement quasiment guerrier des femmes pour leur affirmation contre un système traditionnel qui, en ne leur donnant qu'un pouvoir sur les fils, installe dans la génération des codes hiérarchiques oppressants et inextricables. Comme c'est toujours à la mère qu'il faut rendre des comptes, les conflits matrimoniaux s'épuisent dans l'incapacité du fils à lui tenir tête. Ainsi la femme, tant qu'elle n'est pas devenue par l'intermédiaire de son fils une belle-mère, reste la servante de sa propre belle-mère.La saison des hommes est bâti sur l'absence des hommes. Absence jugée coupable et traduite par leur inconsistance à l'écran. A l'exception de l'instituteur de Djerba qui s'occupe des filles de Aïcha et qui participe de cette façon à l'émancipation des nouvelles générations, ils sont toujours qualifiés négativement dans le film. Lâches, infidèles, vicieux, ils sont pour finir incapables de faire jouir leurs femmes. Cela est dit dans une scène où Aïcha demande à Saïd de la "câliner". Il en est choqué et lui répond durement. Moufida Tlatli qui ne s'appesantit pas là-dessus en profite pour centrer sa narration avec un plaisir évident, presque gourmand, sur la communauté des femmes entre elles, et trouve dans la beauté qu'elle exalte, la matière presque picturale (on pense à l'orientalisme de Delacroix) de ses images.La saison des hommes
De Moufida Tlatli
Avec Rabiaa Ben Abdallah, Ezzedine Gennoun
Tunisie / France, 2000, 2h02.
La Saison Des Hommes