Première
par Gérard Delorme
Après avoir surpris le monde il y a sept ans avec Les fils de l’homme, Alfonso Cuaron était attendu au tournant avec Gravity. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le film est largement à la hauteur des attentes, et pas seulement parce que l’histoire se situe dans l’espace, à 600 km au-dessus de la terre. Les premières images, qui montrent une équipe d’astronautes au travail à l’extérieur d’une navette orbitale, sont exaltantes, parce que la 3D et des effets stupéfiants rendent palpable l’expérience de l’apesanteur . George Clooney, qui a l’air d’avoir servi de modèle à Buzz L’éclair, s’amuse à virevolter dans l’espace avec sa combinaison, tandis que ses camarades vaquent à des occupations sérieuses et complexes. En même temps que l’ivresse de l’espace, on ressent aussi un vertige terrifiant, en se disant que si les propulseurs de Clooney tombaient en panne, il serait précipité dans le vide pour l’éternité. Cette impression de danger est confirmée par la suite, au fil d’un récit qui répète que dans l’espace, la vie ne tient qu’à un fil. Selon les circonstances, on peut avoir la tentation de le lâcher, et ou même le devoir de le couper. La plupart du temps, on a le réflexe de s’y accrocher. En racontant comment une mission tourne mal, et ce qu’un individu est prêt à faire pour s’en sortir, Gravity est une métaphore des difficultés de l’existence. Tout le monde peut s’y identifier à un point qui renvoie à ce que le cinéma a de plus essentiel et primordial. En même temps, Gravity est un tour de force technique, pas seulement parce que les effets visuels sont innovants, mais surtout parce qu’ils sont déterminés par une mise en scène d’une intelligence rare. Il y a notamment une façon magistrale de varier les échelles. Sans changer de point de vue, on peut passer en quelques secondes d’un extérieur infini à l’intérieur confiné et claustrophobe d’une capsule. On a parfois même les deux sensations à la fois, lorsque l’immensité est contemplée par un astronaute, les reflets étant visibles à l’intérieur de la vitre de son casque ! En substance, Gravity est un film de survie. Le sujet a été mille fois décliné, mais ici, dans le cadre d’un opéra spatial, il soulève des milliers d’interrogations que chacun est libre d’élaborer. Il y est question (en vrac) de solitude, d’isolation, de l’homme face à lui-même et à l’univers, de l’infiniment grand et de l’infiniment petit, du masculin et du féminin, de ce qui nous rattache à la vie, du langage, de l’universel et du particulier. Au cours de son odyssée, Sandra Bullock (qui porte à elle seule toute la deuxième moitié du film) doit utiliser différents véhicules empruntés à différentes stations spatiales. Elle ne sait lire ni le russe ni le chinois, mais elle fait appel à son intelligence pour dépasser son incapacité à déchiffrer le mode d’emploi, et trouver ce qu’il y a de commun au-delà des différences. C’est une des métaphores de ce film qui touche à l’universalité avec une incroyable modernité et la simplicité de l’évidence.