Première
par Sylvestre Picard
On l'attendait beaucoup, sans aucune ironie ni mesquinerie. Quoi de mal, après plus d'un an de pandémie à s'exciter à l'idée de s'installer dans un grand cinéma avec tout le pop corn que nous permettent les règles sanitaires pour voir la bande à Baboulinet ravager la planète en voitures tunées ? Au début, on est presque satisfaits : Fast & Furious 9 s'ouvre sur une séquence flash-back de course de stock car, shootée avec Le Mans 66 en guise de référence visuelle. De vraies tôles, de vraies flammes, un vrai feeling de cinéma charnel, physique (et métallique). Bonne idée. Après, retour au présent et les choses se gâtent. Le long d'une chasse au MacGuffin stéréotypée et languissante, Fast & Furious 9 plante trois grosses scènes d'action beaucoup moins dingos que prévues, handicapées par une écriture manquant de rigueur. L'action, même quand elle met en scène des muscle cars, des hélicos et des super-aimants (vous comprendrez quand vous verrez la scène), réclame le respect du solfège -raccords, rythme, équilibre- pour donner toute la mesure de sa puissance.
L'utilisation de recettes issues du soap opera (le petit frérot super-mercenaire-assassin top secret incarné par le sympathique John Cena qui surgit au bout de neuf films ? Vraiment ?) n'arrange rien à l'affaire : Fast & Furious 9 n'est pas assez délirant pour qu'on lui pardonne ses délires, pas assez rigoureux et viscéral pour impressionner ; l'affolant Speed Racer, malgré son apparence de film délirant, suivait au contraire une réelle rigueur dans sa mise en scène des scènes de courses, en suivant des principes selon les enjeux de la scène (abolition des plans de coupe lors des dialogues entre héros dans la course de montagne, par exemple). On va trop loin ? Sans forcément prétendre à être un grand objet pop, Fast & Furious 9 ambitionnait au moins d'être un agréable blockbuster estival devant lequel manger notre pop corn avec la clim et les scènes d'action réglées au niveau 11. La clim et le pop corn sont là, mais Fast & Furious 9 ne livre pas le plaisir annoncé.
Une séquence reste fascinante : Roman (Tyrese Gibson), le bouffon de service de la bande, s'interroge un moment (mais oui) sur l'étrangeté de son existence en tant que personnage de fiction. "Comment ça se fait", dit-il en substance lors d'un vertige pirandellien, "qu'on se soit sortis de toutes ces missions hyper dangereuses sans une égratignure ? Est-ce qu'on ne serait pas immortels ?" Et Roman de se rappeler les moments les plus WTF de la franchise -le coup du sous-marin, par exemple. Ses deux potes font mine de s'interroger avec lui, avant de se foutre littéralement de lui et de le traiter de crétin. Au contraire : en donnant un bref instant à la franchise F&F l'opportunité de devenir méta, de s'interroger sur elle-même, Roman était bien loin d'être le plus crétin du coin. Dommage que personne ne se soit mis à son niveau.