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 Après une première affiche et, surtout, un teaser étrangement Nolanien (un terroriste fou, le chaos urbain et pas UN SEUL plan d'espace), les neuf premières minutes de Star Trek 2 Into Darkness présentées hier en Imax 3D rassurent. Non, J.J. Abrams n’a pas trahi la cause. Et oui, Star Trek reste un space-opera à l'ambition démesurée, un univers à l'ADN cintré où le gène pop croise celui du postmodernisme dans un voyage intersidéral. Tout ça en 9 minutes ? Et vous n'avez encore rien vu.Que voit-on dans ces 9 premières minutes ? D'abord deux films. Star Trek 2 s'ouvre sur l'image d'un couple (Noel Clarke and Nazneen Contractor) qui se lève. Il est 5 heures du matin et, comme l'indique une incrustation en haut de l'écran, nous sommes à « Londres, 2259.55 ». Pas d'Enterprise, ni de galaxie étoilée, pas de journal de bord non plus. Juste un homme et une femme qui prennent leur bagnole et se dirigent vers un hôpital pour retrouver leur fille – gravement malade. Quelques plans dans la chambre d'hosto, un lapin en peluche déposée délicatement sur le lit de la gamine intubée. Et un zoom très lent sur le visage du père, dévasté, les larmes aux yeux. On le retrouve sur la terrasse, face à un paysage bucolique. Résonnent alors les premiers dialogues du film, venus de derrière lui : « je peux sauver votre fille ». Le père se retourne et interroge : « qui êtes vous ? ». Gros plan sur le visage mutique de l’inconnu - Benedict Cumberbatch, le méchant de l’histoire.Cette intro undertone, aux couleurs automnales et aux enchaînements ouatés, baigne dans une ambiance mortifère et pose un nombre incalculable de questions : qui est ce couple ? Quelle est leur fonction ? Qui est la gamine ? Et le personnage de Cumberbatch ? Un savant fou capable de (re)donner la vie ? De transformer les humains enubermenschen (comme Khan Noonien Singh) ? Autant d'interrogations qui, comme toujours chez J.J., mettent la raison à la torture et font douter de la réalité du monde dans lequel les personnages évoluent. Génie du teasing et du marketing hollywoodien, le cinéaste ne donne évidemment aucune indications, laissant les fans spéculer. Et depuis qu’un trailer japonais a infusé l’idée que le vrai bad guy de l’histoire pouvait être Khan (le méchant de Star Trek : la colère de Khan), tous les fantasmes sont permis. Y compris celui qui circulaient hier soir sur le net : le couple pourrait être les parents de Khan. On remarquera juste que le look de ce prologue (entre Bryan Singer et Chris Nolan) plaide pour un délire superhéroïque à base de rafistolage transgénique...Fondu au noirChangement de planète. Changement de ton aussi qui permet à Abrams d'effectuer une belle roue arrière. Dans un plan qui fait directement référence au début des Aventuriers de l'arche perdue, deux hommes sont poursuivis par une troupe de sauvages aux visages de craie. Kirk et McCoy cherchent à fuir le courroux des indigènes tout en les attirant loin de leur cité (on comprendra plus tard qu'ils les entrainent à l'abri d'un volcan). Hommage d'Abrams à son mentor Spielberg, la séquence rappelle aussi l'ouverture de son premier Star Trek et démontre une fois de plus le talent du réal pour les scènes d'intro musclées. Alors que Kirk détourne l'attention des sauvages, au même moment, Spock tente d’empêcher le volcan d'entrer en éruption et plonge au coeur de la souffrière. Problème : le filin qui le retenait à un vaisseau se casse et le Vulcain se retrouve seul au milieu de la lave en fusion. Après avoir réintégré l'Entreprise Kirk doit alors résoudre un dilemme moral  : sauver Spock en violant la Première Directive (l'Enterprise ne doit jamais exposer les peuplades à la technologie et influer sur leur destin) ou sacrifier son second, puisque comme le rappelle ce dernier, « l'intérêt du nombre prime sur l'intérêt de quelques uns »... La séquence se conclue sur un redoutable cliffhanger.Cette deuxième partie est aussi rythmée que la première est atone. Elle montre la science du montage affolante du cinéaste. Abrams réussit à raconter quatre histoires en même temps sans rien perdre en fluidité et en feeling épique. La fuite de Kirk, la mission parallèle de Spock, l'attente dans l'Entreprise, les enjeux entre les personnages sont présentés avec une clarté inouie. Storyteller impressionnant, Abrams installe ses arcs, multiplie les morceaux de bravoure, axe sa mise en scène sur le choix des angles et du découpage et emballe le tout à une vitesse hallucinante.C'est aussi une séquence qui permet à Abrams de poser la question de sa place dans l'industrie et, partant, celle de son ambition. J.J. réaffirme très vite le cinéma auquel il entend se confronter ou dont il prétend être l'héritier. Si la scène de fuite est un décalque des Aventuriers de l'arche perdu, les plans de Spock au cœur du Volcan font écho au duel d'Obi Wan et d'Anakin sur Mustafar dans L'Attaque des Clones et les scènes sous-marines pourraient faire penser à Abyss... Si l'on y ajoute la mythologie trekkie (Khan ou Khan not ?), Abrams croise donc en trois minutes chrono l'ADN de George Lucas, de Spielberg et de James Cameron. Si on pouvait imaginer - après avoir vu le teaser et l'affiche - que Star Trek 2 serait Nolanien (les pulsions d'anarchie, le réalisme triste mais spectaculaire, tout ça tout ça), on a visiblement tout faux.Ces neuf minutes en disent finalement peu sur l'intrigue et laissent les portes grandes ouvertes pour que l'imagination des fans s'emballe. Mais elles rappellent surtout que Star Trek est un terrain de jeu théorique idéal. Une marmite à fantasmes qui, entre folklore et mythologie, permet de réaffirmer la puissance du cinéma à grand spectacle et grande échelle. Loin du réalisme choc et frontal de Nolan. Les références à Spielberg ou Lucas ne fonctionnent plus seulement comme des citations, mais comme des balises. Star Trek 2 sera un voyage. Into Darkness, au cœur des ténèbres - à peu de chose près Conrad, donc David Lean et Spielberg, encore. Et ces neuf minutes sont une invitation qu'on va avoir du mal à refuser.Gaël Golhen