Sam Raimi a bien réussi à imprimer sa patte au nouveau superfilm du MCU, même s‘il ressemble à l’arrivée à un super gros épisode de Rick et Morty.
Sam Raimi est comme nous. Il trouve aussi que devoir réaliser un film du Marvel Cinematic Universe, c’est dire non au statut d’auteur, et c’est devoir se couler dans un moule. Refuser d’être le maître du jeu. Comme il le dit dans notre numéro de mai de Première : « il faut accepter les règles du jeu. On s’inscrit dans une continuité, on n’est pas maître de tout. Je ne vois pas ça comme une restriction, il y a un vrai plaisir à devoir faire le meilleur film possible dans un cadre précis. » C’est plutôt honnête, en fait, et c’est une conception du rôle du réalisateur tout à fait valable -un grand fan du Magicien d’Oz (comme, au hasard, Sam Raimi) ne peut pas ignorer que le film a connu pas moins de trois réalisateurs successifs, chacun achevant le travail du précédent au sein du système des studios hollywoodiens.
C’était il y a presque un siècle, d’accord, mais ça n’en reste pas moins une leçon industrielle toujours valable a minima dans un MCU où un réalisateur comme Jon Watts n’a sûrement pas été embauché pour sa brillante personnalité de cinéma. A la différence de Raimi, qui non seulement a du style mais a également posé quelques jolis petits jalons dans le jardin du super-cinoche. Alors est-ce que Doctor Strange 2 est un film de Sam Raimi ? Bonne nouvelle : oui, indubitablement, et on joue avec un certain plaisir au bingo samraimien devant Multiverse of Madness en repérant des effets de cuts estampillés de son fidèle monteur Bob Murawski, le caméo de Bruce Campbell et des visions gore très surprenantes au sein d’une franchise si verrouillée. L’autre bonne nouvelle, c’est le refus du fan service tant redouté. Après No Way Home et le retour des Spider-Man précédents, on s’attendait à ce que ce "multivers en folie" soit celui des caméos déglingués. On ne spoilera rien, mais cette grosse scène de caméo est désamorcée de façon assez marrante… qui rappelle plutôt la série Rick et Morty que le MCU et son sens de l’autocitation.
Mais voilà, le style de Raimi s’inscrit évidemment dans un "cadre précis", il doit suivre les "règles du jeu". Les quelques séquences surexcitantes sont introduites par d’interminables tunnels de dialogues en champ-contre-champ où se déploie le folklore nanar du MCU (le Mont Wungadore, le livre de Vishanti, le démon Chthon, Chiwetel Ejiofor en dreadlocks…) jusqu’à l’épuisement. Sa durée hyper courte (2h07 !) laissait présager un actioner ramassé et efficace : le cadre Marvel, qui utilise les règles du jeu de la série télé (la jolie réinvention de Scarlet Witch alias Elizabeth Olsen se fonde sur les conséquences de WandaVision, tant pis si votre abonnement Disney+ n’est pas à jour) y trouve une jolie réinvention faisant, reste trop rigide pour laisser respirer quoi que ce soit.
De fait, le film porte surtout la marque de son scénariste Michael Waldron, l’un des piliers d’écriture de Rick et Morty : comme un épisode typique de la série, le film éclate sa storyline en plusieurs faisceaux à travers plusieurs niveaux de réalité avant de les réunir dans un grand final faisant la somme de tous ces éléments avec des trouvailles d’écriture plus ou moins inspirées. Peut-être surtout inspirées des romans du Cycle des Princes d'Ambre de Roger Zelazny, avec ses réalités alternatives et ses personnages dialoguant avec des doubles à la fois maléfiques et fascinants. Comme ses compères, et comme tout bon film Disney, Doctor Strange 2 sautille de concept art en concept art en érigeant parfois ce sautillement en principe de cinéma : le passage de Strange et de sa protégée America à travers toutes les dimensions, censé être un des climax du film, rappelle surtout celui du sous-estimé Men in Black 3. Au fond, Raimi n’est jamais aussi bon que lorsqu’il suit une trajectoire cinétiquement et cinématographiquement ferme, comme les trajectoires hallucinantes composées par une caméra ficelée à une moto lors du tournage des deux premiers Evil Dead. Juan Antonio Bayona, qui avait réussi à filmer très joliment le script affreux de Jurassic World : Fallen Kingdom, nous disait à sa sortie en 2018 qu’il avait quand même réussi à trouver dans cet affreux blockbuster un espace de cinéma où s’exprimer. Raimi a réussi également, dans ce Doctor Strange partagé entre mouvement et immobilité, à trouver son espace.
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