Révélé enfant dans The Tree of Life de Terrence Malick, Tye Sheridan a grandi depuis devant les caméras de Jeff Nichols, Steven Spielberg, Paul Schrader… Pour Black Flies, il s’est aussi fait producteur, pour mieux affirmer sa foi dans le cinéma d’auteur.
Terrence Malick, Jeff Nichols… Les cinéastes avec lesquels a travaillé Tye Sheridan sont listés sur sa fiche Wikipédia. Mais une partie d’entre eux est également au générique de fin de Black Flies, le film d’ambulanciers new-yorkais halluciné réalisé par Jean-Stéphane Sauvaire, dans la section "remerciements". Une manière pour le cinéaste français de saluer ses confrères qui ont pavé la voie au jeune acteur texan ? Pas tout à fait, nous expliquait celui-ci, au Festival de Cannes, en mai dernier, où Black Flies était montré en compétition :
"Le montage a été un processus assez compliqué, Jean-Stéphane avait du mal à trouver la forme finale du film. Une conséquence de son processus filmique très particulier : immersif, avec cette caméra toujours en mouvement… Au bout d’un moment, à force de le voir se cogner la tête contre les murs, je me suis permis, en tant que producteur, de lui proposer de montrer le film à quelques cinéastes amis, qui pourraient lui faire des retours. J’ai donc appelé Terry [Malick], Jeff [Nichols], et puis Darren Aronofsky, qui a longtemps eu les droits du livre Black Flies et avec qui j’ai sympathisé récemment… Ils ont tous été très réactifs, et ont aidé Jean-Stéphane à peaufiner le film."
Black Flies : sensoriel et hypnotique [critique]Tye Sheridan ne frime pas parce qu’il a un gros carnet d’adresses : c’est simplement que, depuis ses débuts au cinéma, la conversation directe avec les grands auteurs du cinéma américain est pour lui un processus naturel. Une conséquence du fait d’avoir, à l’âge de 11 ans, été choisi par le génial Terrence Malick, parmi une foule de 10 000 autres enfants, pour incarner la progéniture de Brad Pitt et Jessica Chastain dans le film-monument The Tree of Life, Palme d’or 2011. Ce ne fut pas pour autant le début d’une vocation mais "une aventure dans un monde inconnu et excitant, comme un séjour dans un camp d’été un peu spécial".
Sheridan sera embauché dans la foulée par deux disciples de Malick, Jeff Nichols et David Gordon Green, pour jouer dans Mud puis Joe. C’est alors que se cristallise pour de bon le désir de cinéma du jeune acteur : "Très précisément le soir de la projection de Mud au Festival de Cannes. Un moment électrisant, l’un des plus forts de ma vie. L’écran immense, la salle qui retient son souffle, la standing ovation… C’est la première fois que j’ai véritablement pris conscience de l’émotion immense que le cinéma peut susciter chez les gens."
Dernières traces d’enfance
Le trait distinctif de la carrière de Tye Sheridan sera dès lors une obsession pour le cinéma "filmmaker-driven", d’abord au service des réalisateurs. Ce qui ne va pas forcément de soi à Hollywood :
"Nombre de mes camarades acteurs ne jurent que par le scénario, ou leur personnage. Pour eux, le réalisateur passe après."
Son spectre va des vieux maîtres (The Card Counter de Paul Schrader) aux excentriques marginaux (The Mountain : Une odyssée américaine de Rick Alverson, lui aussi remercié au générique de Black Flies). Même quand il tourne dans l’inévitable film de superhéros, c’est avec Bryan Singer (X-Men : Apocalypse). Et le seul vrai blockbuster qu’il a jusqu’à présent porté sur ses épaules était signé Steven Spielberg, qui le filmait dans Ready Player One comme une sorte d’alter-ado, un reflet de sa propre jeunesse.
De film en film, les réalisateurs captent la mue de Tye Sheridan, la disparition progressive des dernières traces de l’enfance. Une forme d’endurcissement, aussi, l’acteur jouant souvent les types taiseux, plongés en eux-mêmes, pris sous leur aile par des plus âgés, des archétypes virils : Matthew McConaughey dans Mud, Nicolas Cage dans Joe, Oscar Isaac dans The Card Counter, Ben Affleck dans The Tender Bar, maintenant Sean Penn dans Black Flies.
Ce dernier film, l’acteur a aussi tenu à le produire, comme "une façon d’aider à créer le meilleur environnement artistique possible, à montrer que je me donne à fond au film". Et après ? Il a tourné récemment dans The Order de Justin Kurzel, sur un groupe de suprémacistes blancs. Le film doit être en cours de montage. Terrence Malick l’a sans doute déjà vu.
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