Le réalisateur nous détaille la création de son biopic de Neil Armstrong.
A l'occasion de la première diffusion en clair de First Man (Suivi de 16 Levers de soleil, le documentaire sur la mission spatiale de Thomas Pesquet), ce dimanche sur France 2, nous republions cet entretien du réalisateur Damien Chazelle. Bonne lecture !
Interview du 21 octobre 2018 : Après La La Land, changement de registre pour Ryan Gosling et Damien Chazelle, qui collaborent à nouveau sur First Man, le biopic de Neil Armstrong, le premier homme à avoir marché sur la Lune, en 1969. En juin dernier, à l'occasion de la diffusion de sa première bande-annonce qui promettait un thriller tendu, le réalisateur nous en a dit un peu plus sur ce projet qu’il développait en fait bien avant de tourner sa comédie musicale qui a connu un grand succès.
First Man : Ryan Gosling décroche la Lune [Critique]Première : La bande-annonce de First Man semble jouer avec les codes du thriller alors qu’on sait que la mission a réussi.
Damien Chazelle : Ce qui nous intéressait, c’était de montrer à quel point cet objectif était dangereux. C’était dingue ! On sait que la mission a été un succès, que ces hommes ont vraiment marché sur la Lune, mais on voulait ramener le public à cette époque où voyager dans l’espace était un pari extrêmement risqué. Les astronautes devaient régler les problèmes petit à petit, ils se lançaient un pari fou sans avoir toutes les réponses. J’ai voulu raconter ça du point de vue de quelqu’un qui y était. Comment ont-ils fait ? Combien ça leur a coûté ? Plus je faisais de recherches sur le sujet plus j’étais abasourdi par la dangerosité de ce projet. Le niveau de technologie, à l’époque… Le fait que ces hommes acceptaient de risquer leur vie, qu’ils partaient dans l’inconnu…
C’est pour ça que la vidéo se passe principalement sur Terre ?
Oui, et aussi parce qu’on garde les images de la Lune pour plus tard…
Ce choix de montrer la vie personnelle des astronautes et leur importante préparation physique et mentale rappelle les classiques du film d’astronautes, comme L’Etoffe des héros (de Philip Kaufman, 1983) ou Apollo 13 (Ron Howard, 1993). Vous aviez des films de référence pour First Man ?
Pour La La Land, on avait de multiples références en tête, comme les comédies musicales de Jacques Demy, mais pour First Man, on n’est pas partis des films sur l’espace. On a vu beaucoup de documentaires sur le sujet, surtout ceux réalisés à l’époque de l’exploit. Les astronautes ont essayé de montrer ce qu’ils voyaient. Ils ont filmé leur expédition, même si c’était avec la technologie d’alors. Comme on voulait suivre le point de vue de Neil, c’était important de se replonger dans tout ça. Et il y a évidemment la vidéo de ses premiers pas sur la Lune, qui a marqué tant de monde. On a vu beaucoup de docus des années 1960, comme les classiques des frères Maysles, qui prônaient le ‘cinéma vérité’. Ou ceux de l’ethnologue Jean Rouch. On s’est inspiré de tout ça, en ajoutant une énergie, un souffle épique, car on a aussi pensé notre film comme un pur thriller. Un peu comme pour French Connection, qui est un film à la fois perpétuellement sous tension et très documenté.
Vous avez participé à l’écriture ? Vous êtes crédité en tant que réalisateur, mais pas scénariste, alors que jusqu’ici, vous aviez écrit tous vos films.
C’est Josh Singer (Spotlight, Pentagon Papers) qui a écrit le scénario. On a collaboré ensemble, on parlait beaucoup du projet, mais c’est la première fois que je laissais le script à un autre auteur. Et j’ai adoré travailler de cette façon ! C’était incroyable de se plonger dans les archives. On a commencé à développer First Man il y a quatre ou cinq ans, c’était bien avant que je ne tourne La La Land. J’ai fait appel à lui pour son côté journaliste, justement. C’est quelqu’un qui adore faire des recherches, qui fouille, recoupe les infos… On ressent évidemment ça dans Spotlight (film d’investigation oscarisé en 2016, ndlr), et c’est exactement ce que je cherchais pour First Man. C’était crucial pour faire comprendre la personnalité de Neil et la réalité de cette époque. Grâce au travail de Josh, je crois qu’on a pu montrer les années 1960 sous un nouveau jour, de façon peu vue au cinéma. Ca passe beaucoup par les détails, et c’est pour ça qu’on a regardé autant de documentaires. Pour être justes. Donc non, je n’ai pas écrit ce film, mais on a vraiment collaboré, échangé des idées. Et il était tellement impliqué qu’il a assisté au tournage. Il pointait du doigt des détails, ça nous a beaucoup aidés.
Le magazine People a dévoilé les premières photos de First Man et a dévoilé que vous aviez proposé ce film à Ryan Gosling avant La La Land, parce qu’il était selon vous "l’acteur parfait" pour jouer Neil Armstrong, car il "parlait peu, développait une concentration méthodique et un héroïsme calme". Vous pouvez nous en dire plus ?
Oui, c’est vrai. Ironie du sort, La La Land est sorti avant, mais à la base, je n’ai pas contacté Ryan pour ce film. Je ne pensais pas du tout à lui pour une comédie musicale. Dans ma tête, La La Land, ce n’était pas pour lui ! Je lui avais d’abord proposé First Man, je pensais qu’il serait le Neil Armstrong parfait. On s’est rencontrés, je lui ai pitché mes idées, il était emballé par le projet, mais comme ça a mis du temps à se monter, je préparais en parallèle ma comédie musicale avec Justin (Hurwitz, son compositeur attitré, voir plus bas). On parlait de la vie des astronautes, des années 1960, et au beau milieu de la conversation, il m’a demandé : ‘J’ai entendu dire que tu travaillais sur une comédie musicale ?’, donc je lui ai parlé de La La Land. Et quelques mois plus tard, on a fini par collaborer sur ce film (suite au départ de Miles Teller, qui avait d’abord été engagé pour le rôle, ndlr). J’étais presque surpris qu’il veuille participer ! Je ne m’y attendais pas, mais je ne regrette rien. C’était une expérience incroyable, je me sens terriblement chanceux d'avoir vécu ça.
D’ailleurs, si First Man n’a rien à voir avec La La Land, vous avez refait appel à la plupart de vos collaborateurs.
Absolument. J’ai retrouvé Justin, évidemment, avec qui je travaille depuis la fac, Tom Cross, qui était aussi mon monteur sur Whiplash, Linus Sandgren, le directeur de la photo, Mary Zophres, qui est chargée des costumes… C’était naturel, on est comme une famille. On bosse bien ensemble. J’aime travailler avec eux, tout simplement.
Concernant Justin, la proposition musicale était très différente de celle de La La Land. Il y aura moins de jazz dans ce film (rires). En fait, on partage le même amour de la musique. On ne pense pas seulement qu’elle est importante dans nos films, elle est "au coeur" de nos films. Bien sûr, il n’y a pas de numéro musical ici, mais la musique est un personnage à part entière, qui participe à replonger le public dans cette époque, et à créer une certaine tension. Elle ne rythme pas seulement l’histoire, elle accompagne le personnage. C’est une nuance cruciale pour nous.
Vous ouvriez La La Land avec une énorme scène en plan séquence où vous faisiez "danser" la caméra, puis vous réutilisiez cette idée de mise en scène plusieurs fois au cours du film. Ici, c’était quoi votre principal défi technique ?
C’était de rendre toute cette expédition réaliste. Encore une fois, on voulait donner au film un côté documentaire, donc il était hors de question de tourner sur fond vert, puis de tout créer en numérique durant la post-production. Même pour les scènes dans l’espace, il fallait que ça ait l’air vrai. On a privilégié les plans rapprochés, la caméra à l’épaule, il fallait qu’elle soit proche du personnage, en mouvement. On a recréé un environnement 60’s, c’était mieux pour les acteurs et pour l’équipe en général. C’était laborieux, évidemment, il fallait prendre le temps de bien faire les choses, y aller étape par étape. Donc oui, c’était un challenge, et c’était très différent de tout ce que j’ai pu faire auparavant.
Propos recueillis par Elodie Bardinet (Eb_prem)
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