Première
par François Grelet
Il y a cette scène géniale dans "La Mort suspendue", de Kevin Macdonald, où le héros alpiniste, bloqué dans une crevasse, sait qu’il va y passer et dit que tout ce qui occupe son esprit à ce moment-là, c’est la chanson de Boney M., "Brown Girl in the Ring". Parce qu’il a fini par s’en sortir, l’anecdote est aussi amusante que vertigineuse car elle révèle la place centrale qu’occupe la musique dans notre esprit quand le sol se dérobe sous nos pieds. À sa manière, "Wild" évoque également cette idée-là, sauf qu’ici Simon and Garfunkel remplacent Boney M. La rencontre entre deux obsessionnels de la pop, Nick Hornby au script et Jean-Marc Vallée à la caméra, ne pouvait déboucher que là-dessus. L’intelligence du film est de formuler cette idée en creux, sachant que la partie émergée, plus attendue, tient à la fois de la balade existentielle vers le grand nulle part et du mélo sacrément chargé. Porté par l’art du chromo du cinéaste et par la mélancolie de son scénariste, on comprend vite que "Wild" doit s’aborder comme un véritable voyage mental dans lequel l’héroïne fouillerait dans sa mémoire afin de mettre au jour des bribes d’humanité. Pour que cela fonctionne, il fallait trouver une harmonie, mettre en place une écriture purement musicale. D’où cette idée du patchwork FM assemblant époques et tonalités comme autant de points d’ancrage sensibles. Lorsque Cheryl, à la fin de l’aventure, décide de devenir quelqu’un d’autre, il ne lui reste plus que la mélodie d’El Condor Pasa pour se souvenir une dernière fois du chemin parcouru.