Toutes les critiques de Un Monde Moderne

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Saint-Nazaire, 2003, les Chantiers de l'Atlantique. Recours massif à la sous-traitance, fragmentation des équipes de travail, afflux de travailleurs de multiples nationalités... Pendant que le Queen Mary 2 se construit, le travail et le corps social se délitent. Ce processus implacable, et la résistance des hommes qui y sont confrontés, sont relatés dans Un monde moderne avec force et beauté.
    - Lire l'interview de Sabrina Malek et Arnaud SoulierComme si l'histoire du cinéma devait se développer en forme de spirale et ainsi buter indéfiniment sur les mêmes figures opaques qui stimulent sa puissance de réflexion, Un monde moderne se trouve, plus d'un siècle après les films Lumière, aux portes de l'usine. En 2003, à Saint-Nazaire sur les Chantiers de l'Atlantique, interrogeant les mutations contemporaines du travail, Sabrina Malek et Arnaud Soulier sont confrontés à l'interdiction d'entrer avec les ouvriers sur les lieux de leur activité. D'emblée, ils se trouvent aux prises avec l'une des deux questions majeures qui se posent aux cinéastes depuis toujours : celle du point de vue, l'autre étant celle du temps, ou de la durée.Au départ du projet donc, l'extériorité intervient comme une forte contrainte. Elle est imposée aux réalisateurs par les instances dirigeantes du chantier, qui refusent de leur accorder les autorisations de tournage nécessaires à l'élaboration d'une description détaillée des gestes ouvriers. Conjuguée à la particularité de ce travail d'assemblage et de finition d'un paquebot qui, contrairement au travail en usine, se déroule à l'air libre, cette extériorité a finalement conduit Sabrina Malek et Arnaud Soulier à tourner - littéralement - autour du Queen Mary 2. Non pas le travail même, mais son objet et sa durée sont ainsi rendus visibles. Pendant des mois, ils filment à travers les grillages encerclant le chantier, l'évolution de cet immense amas de métaux qui, façonné peu à peu par des silhouettes minuscules et opiniâtres, se transforme en un vaisseau flambant neuf. Juxtaposant les vues partielles et soulignant ainsi, malgré la distance où ils se trouvent, l'impossibilité de saisir l'ensemble de l'ouvrage tant il est grand, ils donnent de leur sujet, le travail, comme de son objet, le navire en construction, une vision éclatée. La pertinence de cette vision produite, au plan cinématographique, par la prise de vue et par le montage, se mesure à l'exacte correspondance qu'elle entretient, au plan thématique, avec la nouvelle organisation du salariat dont les cinéastes questionnent, en interrogeant les ouvriers, les raisons et les conséquences.En effet, parallèlement à cette vision morcelée d'un objet passif et immensément lourd, le montage intercale des plans rapprochés de parole frontale. Parole lucide et posée des militants syndicaux occupés à défendre leurs droits et ceux de leurs collègues, parole douloureuse et parfois affolée des ouvriers indiens ou roumains que leurs employeurs ne paient plus depuis plusieurs semaines malgré l'engagement passé, qui cessent donc de travailler et doivent encore lutter avant l'expiration de leur visa pour obtenir un salaire et l'argent du retour au pays. Car depuis quelques années, la direction des Chantiers de l'Atlantique prétextant une nécessaire compétitivité des coûts de production sous-traite un nombre croissant de tâches pour la construction des navires. Ainsi, elle fait appel à une multitude d'entreprises qui gagnent ces marchés en réduisant le coût de la main d'oeuvre qu'elles fournissent. Tirant profit de la différence du niveau de vie entre pays pauvres et pays riches, de la faiblesse des ouvriers prêts à tout pour obtenir un salaire et du morcellement des forces en présence - celui d'un patronat diffus qui devient insaisissable, comme celui de la classe ouvrière divisée par la langue ou par les différents types de contrats pour un même travail -, la direction se dérobe à ses obligations. Cette parole donc, qui forme dans le film le contre-champ des plans sur le bateau, dénonce l'injustice mais porte aussi à l'écran l'image du souffle humain, que de loin on oublie, dont la puissance seule pourtant traverse et transforme le navire en construction, comme il anime le film en cours d'élaboration.La puissance de la présence humaine et son exigence sont précisément ce que Un monde moderne, dans sa réflexion sur l'organisation contemporaine du travail, ne veut pas oublier. En cela, et en plus de la qualité esthétique qu'il tient de cette attention à la coexistence des hommes et des choses en un point du paysage, il est un magnifique film de lutte accompagnant la lutte des travailleurs méprisés par les entreprises qui les emploient.Un monde moderne
    Un documentaire de Sabrina Malek et Arnaud Soulier
    France, 2005
    Durée : 1 h 24 min
    Prix des Ecrans documentaires 2004
    Sortie salles France : 7 septembre 2005[Illustrations : Un monde moderne. Photos © Les Films de Mars]
    - Le site du film
    - Consultez salles et séances sur le site Allociné.fr
    Par exemple :
    Paris : Espace Saint-Michel (débats le 7, 9 et 12 septembre 2005, séance 20h30)
    Nantes : Cinéma Le Concorde
    Saint-Nazaire : Cinéma Les Korrigans (débat le 8 septembre 2005, séance 20h30)
    Toulouse : Cinéma Utopia
    Bordeaux : Cinéma Utopia
    Avignon : Cinéma Utopia