Première
par Christophe Narbonne
Dans le cinéma social anglais, il y a, pour faire simple, l’école Ken Loach (réalisme didactique) et la veine Mike Leigh (réalisme émotionnel). Certains acteurs britanniques confirmés passant à la réalisation (Gary Oldman, Tim Roth, Peter Mullan) ont ouvert une troisième voie qu’on pourrait qualifier de « réalisme misérabiliste », qui explore de manière crue les pires fléaux de la société (alcoolisme, violence, inceste). Ne pas avaler, The War Zone ou Orphans, films insoutenables, pour une bonne part autobiographiques sinon thérapeutiques, ont ainsi imprimé dans la mémoire de ceux qui les ont vus des images durablement marquantes. Paddy Considine, second rôle remarqué dans 24 hour people, Hot Fuzz ou La vengeance dans la peau, imite donc ses glorieux aînés, à la différence près que Tyrannosaur est une pure fiction, inspirée du premier court-métrage de l’acteur, Dog Altogether, où jouaient déjà Peter Mullan et Olivia Colman. Chez lui, moins de misérabilisme, plus de lumière. Enfin, de lueur –faut pas pousser non plus. La présentation des personnages, qui additionne violences et souffrances, laissait pourtant craindre le pire, du voyeurisme débectant au chantage à l’émotion. Considine est heureusement plus subtil que ça. Joseph, malgré son caractère autodestructeur, ne provoque pas par hasard la rencontre avec Hannah. Celle-ci ne le recueille pas dans son magasin sans arrière-pensées. Chacun, la tête à moitié sous l’eau, se raccroche à la bouée qu’il peut. Du début à la fin du film, rien ne leur sera épargné ou facilité mais tout leur sera pardonné. Les personnages secondaires –le mari brutal, le petit voisin maltraité- mettent parallèlement en relief leur bonté enfouie sous des kilos de névrose. Il y a dans le sauvetage mutuel de Joseph et Hannah une dimension chrétienne –souffrance, compassion, rédemption- qui n’échappera à personne et qui donne foi dans le cinéma de Considine, type foncièrement humaniste. Dans sa mise en scène même, il cherche moins à convaincre qu’à témoigner. Il préfère ainsi les plans moyens neutres aux gros plans émotionnellement chargés ; les plans composés et fixes aux plans à l’épaule si galvaudés. Il cadre large le quartier défavorisé de Joseph comme une ville de western, avec son saloon, ses gueules et sa torpeur en trompe-l’oeil, où le danger rôde en permanence mais où la vie reprend in fine ses droits. Tyrannosaur est effrayant, fascinant et apaisant. C’est un grand film.