Première
par Sylvestre Picard
Suivant la loi des séries Marvel, Le Monde des ténèbres est plus la suite d'Avengers que celle du Thor de Kenneth Branagh - si vous avez loupé le début, ce n'est même pas la peine d'essayer. Le prologue, épique comme il se doit, raconte comment, il y a des millénaires, un grand méchant (l'Elfe noir Malekith) voulait détruire tous les univers à l'aide d'une super-arme. Retour au présent : revoilà Thor (Chris Hemsworth), de retour en son royaume d'Asgard après les événements d'Avengers, qui guerroie de monde en monde afin de faire régner l'ordre et la justice. Le reste du scénario ne réserve guère de surprises, avec le retour de Malekith, et Thor devra l'affronter, etc. Si tout le cast fait le job, on se réjouit surtout dès que Loki (Tom Hiddleston) apparaît, devenu au fil des épisodes l'un des personnages les plus cool des films Marvel et le seul à apporter de la profondeur psychologique au film, le reste allant vers l'action pure. Au diable les interrogations postmodernes sur le rôle du surhomme. Le film déploie un univers de fantasy coloré et distrayant (des vaisseaux spatiaux, des rayons lasers, des épées, tout un arsenal médiéval-technologique), où ont été digérées de nombreuses influences visuelles : mais les images psyché de Jack Kirby ou Walt Simonson (fameux illustrateurs de la BD Thor) sont oubliées au profit d'une esthétique bien de notre époque, beaucoup plus techno/SF, afin de préparer au prochain film Marvel Les Gardiens de la Galaxie, prévu comme un grand space opera. Les scènes d'action s'enchaînent gaillardement, jusqu'à un final assez grandiose articulé autour de la téléportation. Le fun, voilà l'intérêt de ce Monde des Ténèbres : alors que l'on proclame la mort du blockbuster hollywoodien, il n'y a guère plus que Marvel pour offrir avec régularité ces divertissements réjouissants à très grand spectacle. Un peu trop calibré, sans doute : la patte du réalisateur Alan Taylor ne se sent que dans son efficacité invisible. Engagé, comme Branagh en 2010, pour des raisons publicitaires ("le réalisateur de Game of Thrones s'attaque à Thor !"), Taylor fait le boulot honnêtement, même si le cahier des charges du blockbuster familial Marvel emmène le film à mille lieues de la télé adulte dont le réal est issu (il a signé aussi neuf épisodes de Soprano, mais aussi de Rome, Mad Men, Boardwalk Empire...). Ce que Thor 2 emprunte en revanche à l'univers télévisuel est sa nature feuilletonesque. Car l'autre intérêt du Monde des Ténèbres est de s'achever sur un cliffhanger très alléchant pour la suite - et pas moins de deux scènes post-générique (n'oubliez pas de rester jusqu'à la toute fin de la séance). A la façon des comics de super-héros (et des séries télé donc), le cinéma Marvel est devenu par défaut un cinéma du "à suivre" et de la dépendance au sentiment de frustration engendré par le surteasing des prochains épisodes. La formule est de toutes façons rodée : tous les six mois environ, un super-film Marvel débarque sur les écrans, comme pour imiter les comics paraissant en kiosque - des comics dont chaque exemplaire coûterait 200 millions de dollars. Développé dans l'ADN du golden age des premières aventures dessinées des super-héros - psychologie simpliste, images flamboyantes, background nanar - Thor - Le Monde des ténèbres est, en définitive, pas loin du comic book movie parfait.