Toutes les critiques de Matrix

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    As des as de la roublardise, les Frères Wachowski s'étaient signalés à notre vigilance avec le sinistre film noir et néo-lesbien Bound où coups de feu et broute-minous simulés tentaient de faire passer un mauvais téléfilm pour de l'art brut et y réussissaient à demi.
    La réalisation des deux frères -; bien moins inventifs dans un genre différent que les frères Farelly ou Cohen -; était déjà assise à l'époque sur de douloureux flous artistiques, des mouvements syncopés de caméras et un recours excessif aux effets spéciaux.Avec Matrix que l'on attendait, sur une bande-annonce époustouflante, comme le film de science-fiction de la décennie, le duo ne fait finalement que multiplier ses principaux défauts et qualités par dix et retirer les fruits d'un casting suffisamment intelligent pour ne pas tromper le chaland sur la marchandise. Keanu Reeves, après le commis- génétique de Johnny Mnemonic (autre demie-réussite de la science-fiction moderne), est fait à merveille pour ces rôles de surimi dramatique et joue ici avec un manque de brio tout à fait approprié un jeune pirate en informatique qui découvre que le monde réel a été remplacé par un jeu vidéo géant dominé par des machines androïdes fascisantes. Le scénario du film se contente -; sur cette base ambitieuse et compliquée - d'opposer une bande de gentils rebelles (les résistants : un chef noir mystique, une jolie fille, deux kanaks) à des soldats du futur mélange de Terminator 2 et de Men In Black. L'affrontement est marqué par des scènes de combat et des poursuites assez réussies ainsi que par des idées de scénario plutôt bonnes : les pieuvres-matons, les balles fuyantes, les pouponnières de la mort, le kung-fu ralenti, la Pythie cuisinière constituant autant de bons moments de cinéma à défaut d'être véritablement novateurs. La mise en scène bénéficie de cette laideur technologique que le spectateur moyen ne remarque même plus tant elle est prompte à servir l'action et un propos dénué de sens critique et de consistance cinématographique.Le tout, servi par des effets spéciaux dont on n'osera pas dire le prix est d'une efficacité d'autant plus redoutable que les grands films d'action futuristes se font rares depuis Blade Runner et Total Recall (cf le Cinquième Elément). Matrix passe comme une bombe sur l'écran, lisse et immédiat, pète le feu mais ne brûle pas grand chose de plus que des calories. Rayon intellect, on appréciera tout de même la nouvelle incursion dans le domaine très branché des rapports réel/virtuel déjà explorés ces temps derniers par les bien nommés Pi (plus philosophiquement solide) et ExistenZ (plus second degré). Matrix agace un peu par sa manière de mélanger new-age, guérilla et video games. Il paraîtra même à certains hypocrite de dénoncer la technologie en se payant un film dont le succès dépend aux deux tiers des prouesses de programmeurs et de petits génies de l'informatique. Le tiers restant provenant d'emprunts divers à la Guerre des étoiles, Alien, Blade Runner (la machine qui se fait sa petite crise mélancolique avant de clamser...), le spectateur a très vite l'intuition que sa jouissance est télécommandée comme la somme de ses jouissances passées.Pour donner une comparaison dans un autre domaine, disons que Matrix nous fait étrangement penser au dernier roman de Maurice G. Dantec : quelque chose que l'on apprécie sans modération mais que l'on s'en trop fabriqué pour être honnête. Trop étudié en chambre de marketing. Trop pétri de cette contre-culture qui a de plus en plus la forme d'une culture dominante pour convaincre sans réticence. Trop efficace et tape-à-l'oeil pour plaire. On a beau sortir de là avec le sourire et le brushing en lambeaux, on se dit, sans renier notre plaisir, qu'avec ou sans le bug, Matrix ne passera pas l'an 2000.Matrix
    De Larry Wachowski et Andy Wachowski
    Avec Keanu Reeves, Laurence Fishburne, Carrie-Anne Moss
    Etats Unis, 1998, 2h15.
    - Lire la chronique de Matrix, Reloaded (2003).
    - Lire la chronique de Matrix, Revolutions (2003).