Première
par François Léger
À une époque où les "fils et filles de" (les "nepo babies", comme on dit dans le milieu) se font aligner sans sommation sur les réseaux sociaux, il faut reconnaître à Ishana Shyamalan un certain courage. Pour son premier long-métrage, l’héritière a décidé d’aller chasser directement sur les terres du padre avec un thriller fantastique et semi-horrifique intitulé Les Guetteurs. On y suit Mina (Dakota Fanning), jeune femme un peu paumée dont la voiture tombe en panne en pleine forêt. Prise au piège dans ces bois qui semblent s’étirer à l’infini, elle trouve refuge dans un bâtiment aux allures de bunker, déjà occupé par trois personnes : chaque nuit, les habitants doivent se laisser observer à travers un miroir sans tain par les mystérieux occupants de la forêt… Mais ces derniers existent-ils vraiment ou bien tout le monde a-t-il pété les plombs ?
La limite de ce scénario qu’on pourrait croire sorti du cerveau de M. Night Shyamalan lui-même (il s’agit pourtant d’une adaptation du roman The Watchers d'A. M. Shine, écrivain irlandais qu’on dit fasciné par l’oeuvre d’Edgar Allan Poe), c’est qu’on passe beaucoup de temps à faire le parallèle entre le père et la fille. Compliqué de regarder le film d’un oeil innocent, sans avoir des réminiscences du Village ou de Knock at the Cabin... Et à ce petit jeu, Ishana n’en sort pas totalement gagnante : si ses mouvements de caméra amples lui permettent de s’émanciper de son géniteur, sa gestion du suspense (dans la réalisation comme dans le scénario) a du mal à tenir la comparaison.
D’autant plus dommage que la première moitié des Guetteurs est extrêmement prometteuse dans sa mise en place des règles qui régissent cet univers de poche, largement inspiré du folklore celtique. Mais la réalisatrice manque de confiance dans sa mise en scène et abîme quelques belles idées qui auraient pu faire sa signature. On pense notamment au traitement du dispositif du film, avec ses humains enfermés et observés par des anonymes à travers une vitre, qui fait furieusement penser à de la télé-réalité. Ishana Shyamalan s’en sert malheureusement au premier degré, en montrant le personnage de Mina en train de regarder elle-même un faux reality show à l’intérieur de la structure. Un rien lourdingue.
Les performances plutôt solides de Dakota Fanning et Georgina Campbell - déjà très bien dans Barbare - n’y feront pas grand-chose : sans angle affûté pour tenir la barque (l’envie de marier la fable et l’horreur ne suffisent pas à égaler le Guillermo del Toro du Labyrinthe de Pan et de La Forme de l’eau, malgré une volonté évidente de s'en rapprocher), Les Guetteurs finit par s’effondrer tout doucement sous sa littéralité et des explications bien trop nombreuses dans les 45 dernières minutes.