Première
par Thomas Baurez
À première vue, pas grand-chose à attendre d’un genre – le thriller mafieux – qui aura donné au cinéma, surtout américain, des chefs d’oeuvre à la pelle à partir des années 30. Les cinéastes italiens, un peu à la traîne sur ce terrain-là, ont raconté leur propre histoire criminelle avec moins d’emphase et de génie (cf. les films de Francesco Rosi). Bellocchio (Les Poings dans les poches, Buongiorno notte...) répare la chose. Le Traître déploie et superpose tension, force, violence, emphase, mélancolie. Bellocchio raconte la sombre et véritable histoire de Tommaso Buscetta (impérial Pierfrancesco Favino), repenti de la mafia, avec limpidité. Et révèle sa part bouffonne et tragique. Passé les figures imposées, place au retentissant procès très commedia dell’arte. L’homme assume, ne baisse jamais la tête face à ses juges et s’il tourne le dos à ses anciens partenaires parqués dans des cages au fond de la salle, il envisage chaque confrontation avec délectation. Derrière ses épaisses lunettes noires de rock star, Buscetta parle, se confesse et assume tout. On sent une jubilation. La mise en scène d’une fluidité déconcertante sait restituer la valeur de ces procès et dynamiser l’action par la seule force de la parole et de la gestuelle. Bellocchio manie aussi l’ellipse à la perfection et face à ce déchaînement d’action parvient à rester au plus près de l’intimité de son personnage, dont on pressent le lent délitement intérieur. Intense.