Première
par Thierry Chèze
Cannes ne réussit décidément pas à Kirill Serebrennikov. Pour sa troisième participation à la compétition, le cinéaste dissident russe est de nouveau reparti bredouille alors qu’au fil des films, il ne cesse de prouver sa capacité à se renouveler sans ne rien perdre de la puissance de sa mise en scène. Après l’univers rock et noir et blanc de Leto puis le trip baroque élégiaque de La Fièvre de Petrov, le voici aux commandes d’une histoire d’amour impossible: l’union entre Piotr Tchaïkovski et Antonina Milioukova à laquelle le compositeur du Lac des cygnes a consenti pour tenter de cacher son homosexualité qui commençait à ternir sa réputation. D’emblée, on n’a peu de doute sur l’issue de cette union mais à travers elle, Serebrennikov signe un magnifique portrait de femme, amoureuse jusqu’à la plus grande des déraisons, prête à tout endurer dans son cœur comme dans son corps pour rester auprès d’un homme qui finit par redouter même de la croiser.
Plus limpide dans son récit que La Fièvre de Petrov, La Femme de Tchaïkovski n’étouffe à aucun moment sous la reconstitution de l’époque et le doit à la manière dont le cinéaste distille de l’onirisme toujours à bon escient, dans le bon tempo, élevant les 143 minutes de son récit vers les cimes du romanesque tragique. Mais rien de tout cela n’aurait été possible sans une comédienne immense : Alyona Mikhailova. Le parcours du personnage d’Antonina, ses facettes multiples et par nature contradictoires n’auraient pas la même profondeur sans la manière dont elle les incarne par tous les pores de sa peau et son corps tout entier.