À la fois film d’aventures, fable et digest de philosophie world, L’Odyssée de Pi est un film-monde qui aura mis plus de dix ans à se faire. Jeunet ou Cuarón furent longtemps pressentis pour le réaliser, mais c’est finalement Ang Lee qui a hérité de ce projet dément. Ang Lee ? L’ampleur des défis technologiques et l’ambition formelle du film ne correspondaient pourtant pas forcément au CV du Taïwanais, spécialiste des affres de la classe moyenne américaine. Mais Lee est un cinéaste protéiforme capable de plier n’importe quel matériau à ses obsessions. Dans son univers, l’histoire de Pi devient une fiction initiatique qui s’accomplit au cours d’un voyage surréaliste, une métaphore où les bouleversements intimes coïncident avec le souffle du romanesque. Mais comme dans tous ses films, le cinéaste fait surtout sauter des barrières. Après avoir combiné western et wu xia pian dans Tigre et Dragon, mélo oedipien et blockbuster dans Hulk, il opère, dans L’Odyssée de Pi, le métissage entre réalisme et fantasme – l’axe fondamental de sa filmo. En s’immergeant dans la technologie la plus pointue (3D, motion capture, paintboxing...), il crée un monde stupéfiant, naturaliste et rêvé, réussissant à donner un supplément d’âme aux pixels par la grâce de sa mise en scène. Le minimalisme zen de ses compositions, la densité émotionnelle de son héros et la beauté folle des images (entre l’Avatar de Cameron et les fantasmes en Technicolor de Powell et Pressburger) font du film une étape majeure dans la conquête du cinéma numérique.