Toutes les critiques de L'ennui

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Martin est philosophe et déprimé. Après un début de soirée catastrophique chez son ex-femme, il erre en voiture dans Paris et croise vers Pigalle un couple qui capte son attention et trompe son ennui: un homme d'âge mûr, assez décati, tente d'entraîner dans un lieu chaud une jeune fille brune qui lui échappe.
    Fasciné par cet homme épuisé et qui semble happé par un monde impénétrable, Martin le suit dans un bar de nuit sans se douter que cette rencontre de hasard bouleversera sa vie, ses certitudes et ses repères : quelques jours après, l'homme meurt. Il s'appelait Meyers, était peintre et Martin devient immédiatement l'amant de la jeune fille aperçue dans Paris et qui était son modèle favori. Dès lors, il n'est plus le même...Avec ce troisième film après Bar des rails et Trop de bonheur, Cédric Kahn traite avec virtuosité la question de la connaissance de soi. Son personnage principal, Martin, est au début du film la victime d'un ennui quasi baudelairien: il n'est nulle part à sa place, se sent toujours hors de propos. Qu'il soit dans les rues de Paris ou dans un appartement cossu pendant une fête, la caméra de Cédric Kahn le montre constamment en mouvements, mais il tourne en rond. Sa relation avec Cécilia ressemblera plutôt à une fuite en avant, comme l'annonce la conversation qu'ils ont dès leur première rencontre dans l'atelier de Meyers: Martin l'interroge, et Cécilia répond avec un naturel et une absence de dissimulation tels qu'elle en devient rapidement déroutante et finalement opaque. Qu'il soit cruel comme aux prémisses de leur histoire ou bien torturé par la jalousie, Martin ne se définit plus que par rapport à Cécilia qu'il affirme pourtant trouver ennuyeuse. Son obsession du raisonnement et ses tentatives pour la capter par des déferlantes de questions se heurtent au corps du jeune modèle, à ce corps vaste, plein, à la présence si matérielle et si inattendue au cinéma habituellement peuplé de jeunes premières à la silhouette gracile et éthérée.On rit souvent dans L'Ennui de cette confrontation incongrue, de l'hébétude éprouvée par Martin face à cette femme qui jouit sans esprit de perversion ou de domination, qui vit selon ses envies sans arrières-pensées ou dogmes moraux. Martin est éperdu d'amour, et totalement perdu: il ne se reconnaît plus, poursuit Cécilia : résoudre l'énigme qu'est la jeune fille, c'est comprendre ce qu'il éprouve pour elle, et donc se connaître.Dans ce rôle, Sophie Guillemin est une véritable apparition : elle a un visage à la fois enfantin et mûr et un demi sourire qui la rendent très présente tout en la tenant à distance. Charles Berling confirme un parcours sans faute en étant aussi crédible dans les aspects intellectuels de son personnage que dans ses faces plus "glamours". Le point de vue est constamment celui de Martin, ce qui amène le spectateur à douter de la "réalité" qui lui est présentée. Les scènes de filature en sont un bon exemple : Martin assiste-t-il réellement à un baiser entre Cécilia et Momo, son ami acteur, ou bien son esprit malade transforme-t-il le réel selon ses fantasmes ? La caméra de Cédric Kahn, fureteuse et mouvante, saisit la palpitation des corps, les questionnements métaphysiques d'une âme qui se cherche, qui se noie pour peut-être mieux émerger, jusqu'à faire parfois pencher son histoire vers le fantastique. Il questionne donc aussi la fiction, et c'est aussi pour cela que L'Ennui est l'un des films les plus enthousiasmants du moment. [Emmanuelle Pons]L'Ennui
    Un film de Cédric Kahn
    D'après le roman d'Alberto Moravia
    Avec Charles Berling (Martin) - Sophie Guillemin (Cécilia) - Arielle Dombasle (Sophie).
    Sortie nationale le 16 décembre 1998
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