Première
par Thomas Baurez
Si un cinéaste est par nature – voire par obligation – un être invisible au monde qu’il dévoile à l’écran, le filmeur, lui, est là, on peut sentir physiquement sa présence et même apercevoir son visage dans le reflet d’un miroir, sans que personne ne cherche à effacer sa trace. Il peut aussi partager son plaisir immédiat de voir, par exemple, un rayon de soleil balayer l’entrée d’un manoir en Normandie et s’exclamer : « Je suis content, la lumière est belle ! » Le peintre restera toujours muet. Pas le filmeur donc. Regard et parole, intimement mêlés. Voici L’Amitié, portrait successif de trois proches d’Alain Cavalier : le parolier Boris Bergman (Vertige de l’amour…), le producteur Maurice Bernard (Thérèse…) et le coursier Thierry Labelle, acteur non professionnel de son Libera Me (1993). Trois hommes mais aussi trois femmes, puisque cette Amitié aurait aussi pu s’appeler L’Amour. Cavalier cherche à inclure dans le cadre les compagnes de ses protagonistes (Massako, Florence et Malika) et se faire raconter les premières rencontres. Il filme l’instant, converse avec ses « sujets », enfreint les cloisons de l’intime, construit un récit qui pourrait bien ne pas en être un et par le détail saisit des morceaux d’universalité. Pour visionner ce nouveau film, Alain Cavalier et Françoise Widhoff nous ont ouvert les portes de chez eux. Comme une façon d’amplifier cette sensation que chez le filmeur, l’écran n’est pas une frontière encore moins une surface, mais une fenêtre offrant « des petites révélations du monde. ». Ce cinéma-là tient du miracle.