Première
par Thomas Baurez
Commençons par parler de cuisine interne, puisqu’il n’est question que de ça dans ce Bernadette, comédie censée nous introduire dans les ors de notre république à travers l’itinéraire de Madame Chirac. Chose rare pour être soulignée, le film a été soumis à un embargo critique, obligeant le journaliste qui le découvrait en projection de presse à n’émettre aucune critique - bonne ou mauvaise - avant sa sortie. Un sort réservé habituellement aux grosses machines hollywoodiennes afin de ne pas perturber leur coûteux plan de com’. Pourquoi tant de précaution avec notre Bernadette nationale ? La bande annonce - très drôle - et l’affiche – pop – avaient-elles quelque chose à cacher ? Et de fait, Bernadette est l’histoire d’une dissimulation, celle d’une femme, Première dame de France entre 1995 et 2007, cantonnée de par sa « fonction » à faire tapisserie (l’affiche ne ment pas) La misogynie du monde politique étant ce qu’elle est, la réalisatrice imagine un survival qui voit, son héroïne, seule contre tous, prendre enfin sa revanche au mépris de l’Histoire officielle (l’idée même du cinéma) En plus d’être bonne, l’idée était culottée, Bernadette Chirac ayant été jusqu’ici assignée à sa propre image, celle d’une mamie revêche et vielle France accrochée à son sac à main offrant par contraste, le luxe à son mari d’apparaître décontracté et sympathique. Voilà ce qu’il fallait renverser au risque de l’hagiographie. Léa Domenach dont c’est le premier long-métrage, assume et regarde avec empathie une Bernadette misanthrope qui regarde à son tour un monde cynique auquel elle entend soudain prendre part. Cette trajectoire masochiste et rebelle est un parfait alliage pour la comédie (la bande-annonce ne ment pas) Catherine Deneuve, aux petits oignons, se régale dans ce jeu de quilles en circuit fermé où paradoxalement la caricature déleste le réel de son masque. Et même s’il a divisé notre rédaction (certains regrettant notamment l’aspect trop énamouré du portrait de l’ex conseillère générale de Corrèze, contrastant avec le sort, rude, réservé à celui de sa fille Claude) Bernadette méritait donc mieux qu’un embargo qui risque de la priver une nouvelle fois de sa liberté d’être immonde.