Le Domaine- série
Leopardo Filmes/ Alfama Films/ Arte France

Pendant 3 heures, le cinéaste portugais fait rimer Leone et De Oliveira dans une fresque poétique, sociale et romanesque à découvrir ce soir sur Arte.

Le Domaine raconte 50 ans de l’histoire portugaise – des années 40 aux années 90 – par le prisme d’une famille de propriétaires terriens aux relations pour le moins agitées. Comment est née l’idée de cette mini- série en trois épisodes, que diffuse Arte ce soir ?

Tiago Guedes : Il faut rendre à César ce qui lui appartient. En l’occurrence Paolo Branco qui souhaitait produire un film où l’on raconterait la deuxième partie du 20ème siècle par le prisme d’un personnage « bigger than life ». Et j’ai immédiatement accroché à cette idée d’un héros charismatique et ambigu, l’un des plus grands propriétaires terriens du pays, qu’on peut tout à la fois craindre et admirer. Je me suis donc réapproprié – avec l’aide de Gilles Taurand - le scénario qu’avait écrit Rui Cardoso Martins en entraînant le récit du portrait d’un homme vers celui de sa famille. A travers ce prisme, je voulais parler de deux sujets qui m’obsèdent depuis longtemps : la notion d’héritage et l’incommunicabilité entre les êtres. Raconter 50 années d’histoire de mon pays, riche en transformations massives, m’a évidemment passionné. Mais ces événements ne constituent que l’écrin du récit. L’essentiel était pour moi de montrer comment une famille fortement impactée par eux leur résiste. 

Avec Le Domaine, vous encapsulez donc 50 ans d’un pays et de l’histoire d’une famille en seulement 3 heures. Comment avez- vous géré les ellipses temporelles ?

En obéissant tout simplement à mes goûts de spectateur. Car plus le temps passe, plus j’aime les films qui ne me prémâchent pas tout, qui me laissent la place de me raconter ma propre histoire à l’intérieur de leurs récits. Toute mon approche dans l’écriture comme dans la réalisation du Domaine a obéi à cette règle : laisser le spectateur combler les ellipses dont vous parlez, garder ma caméra à bonne distance des personnages pour ne rien appuyer mais respecter l’harmonie de l’ensemble.

Face au Domaine, on pense souvent à la phrase du Guépard: « il faut que tout change pour que ne rien change ». Est-ce que Luchino Visconti a été une inspiration pour vous ?

Si je devais citer un réalisateur, ce serait plutôt le Vincente Minnelli de Celui par qui le scandale arrive et plus précisément son personnage central campé par Robert Mitchum. C’est exactement ce type de toxicité masculine que je voulais montrer. Pas un sale type mais un homme qui varie du pire au meilleur au gré des circonstances. C’est sans doute mon influence majeure côté scénario. Pour les images, je voulais que Le Domaine se vive comme un western. J’avais donc évidement Sergio Leone en tête mais je pourrais aussi citer Paul Thomas Anderson ou le travail sur la lumière de Roger Deakins que j’admire. Quand je fais un film, je suis toujours influencé par mes plaisirs de spectateurs. Et je ne me censure pas.

Vous évoquiez Leone. Le Domaine partage avec son cinéma un aspect taiseux qui rejoint cette idée de ne pas se donner immédiatement à ses spectateurs. Une mini- série qui se mérite y compris par son rythme, délibérément lent et enveloppant et évoque par cet aspect le cinéma de votre compatriote Manoel de Oliveira…

Je me situe en effet ici à mille lieux d’une prétendue efficacité. Et, pour y parvenir, j’ai eu la chance de m’appuyer sur Roberto Perpignani, le monteur des frères Taviani ou du Dernier tango à Paris. Grâce à lui, j’ai redécouvert mon histoire sous un autre angle. Et on a construit ce rythme, essentiel à la conduite du récit, vraiment ensemble, pendant 10 semaines.

Avec l’obligation d’un double montage. Une version cinéma et cette version série qu’on  découvre ce soir sur Arte. Qu’est ce qui change fondamentalement entre les deux ?

Vraiment des choses infimes. Il y a bien eu deux montages mais un seul récit. Parce que pour moi, la différence majeure entre le cinéma et la télé réside généralement dans le rapport au temps. Entrer dans une salle, c’est comme s’échapper de la réalité, être concentré sur ce qu’on voit pendant un temps donné, sans faire autre chose. Avec Le Domaine, j’ambitionnais de faire une mini- série qui procure cette sensation. Je ne voulais rien sacrifier au petit écran.

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