Encensée comme peu de productions françaises, la série d’espionnage d’Éric Rochant rentre dans le dur avec cette troisième saison qui se confronte ouvertement à la violence contemporaine.
Après une deuxième saison couronnée de nombreuses récompenses critiques, Le Bureau des légendes se savait attendue de pied ferme par des admirateurs de plus en plus enthousiastes – et suspendus depuis un an à l’angoissant cliffhanger qui laissait Malotru (Mathieu Kassovitz) en mauvaise posture. Conscient que la troisième saison représente souvent un tournant décisif ("trois saisons c’est le début d’une vraie série, c’est là que les choses commencent vraiment, c’est la maturité"), le showrunner Éric Rochant s’est ici donné pour objectif de consolider sa création et d’en approfondir les enjeux.
De fait, les deux premiers épisodes traduisent une volonté de sortir des bureaux parisiens de la DGSE pour montrer encore davantage l’action de terrain : Marie-Jeanne (Florence Loiret-Caille) et Raymond (Jonathan Zaccaï), que l’on a connus plus casaniers, sont ainsi montrés d’emblée – et chacun de leur côté - en mission à l’extérieur. C’est que le sort de Malotru mobilise désormais toutes les forces de l’équipe et permet à la narration de redistribuer les cartes.
Requiem
Décidant notamment de s’immerger au cœur de la guerre en introduisant un personnage de combattante kurde positionnée au coeur de la lutte contre l’État islamique, ce début de saison rend compte du quotidien épuisant qu’implique une telle bataille au long cours. "C’est la guerre, rien ne sert à rien", déplore cette nouvelle héroïne. Gagnée par des sensations mortifères, la série offre le sentiment que n’importe quel protagoniste peut désormais disparaître, idée soulignée par une partition musicale inédite qui évoque un requiem. Sous les yeux d’un Henri Duflot (Jean-Pierre Darroussin) légèrement émoussé, les rôles alternent et évoluent, si bien que d’anciennes figures au caractère fragile, comme Nadia El Mansour (Zineb Triki), peuvent maintenant afficher des ambitions directes, là où certaines personnalités qui semblaient plus solides se mettent à flancher.
Traitant comme à son habitude de l’actualité géopolitique (la crise des migrants, le conflit syrien ou l’enfer des geôles de Daech), Le Bureau des légendes fait en même temps déjà oeuvre de témoignage historique; l’évocation par Marie-Jeanne du moment où "la défaite de l’Etat islamique arrivera" permet par exemple de se projeter dans le futur et d’habiter un temps historique plus large, comme le fait Jonas, nouvel analyste (joué par l’humoriste Artus), qui connaît sur le bout des doigts l’histoire récente de l’espionnage français.
Emouvant fil rouge
On entraperçoit aussi en ce début de saison les risques qu’encourt la série : si elle s’échine à multiplier mécaniquement les séquences d’action (une filature à moto, où les agents utilisent des noms de stades de foot, s’avère un tantinet poussive), elle pourrait à l’avenir perdre une partie de son charme. Mais, entre le retour des services secrets russes ou l'arrivée prochaine du Mossad, les intrigues de cette troisième saison s'annoncent particulièrement excitantes.
Surtout que la série n’a pas perdu de vue son émouvant fil rouge, celui de l’histoire d’amour impossible entre Paul Lefebvre et Nadia El Mansour. "Qu’est-ce qu’une femme ne ferait pas par amour", observe avec perversité un trafiquant d’art. Cette persistance du sentiment amoureux - évoquée dès le premier film d’Éric Rochant en 1989, Un Monde sans pitié, où le héros affirmait qu’ "on n’a plus qu’à être amoureux, comme des cons" - continue à hanter ces deux anciens amants passés par les pires épreuves. Les puissants dilemmes que se prépare de nouveau à affronter ce duo reste un des cœurs battants du Bureau des légendes, une œuvre dont on est toujours impatient de voir comment son showrunner y glisse ses propres obsessions artistiques.
A partir du 22 mai à 21h05 sur Canal +
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