Dans son magistral deuxième film, Stefano Sollima raconte sous forme de fiction l’effondrement d’un système corrompu jusqu’à la moëlle, impliquant le crime organisé, la politique et l’Eglise. Rencontre
La différence entre la Rome contemporaine de votre film et la Suburra antique, c’est l’implication de l’Eglise. Quel est son rôle ?
Rome est une ville très particulière avec un équilibre politique unique au monde puisque la présence de l’Eglise a toujours changé la ville et continue de le faire. Trois pouvoirs sont à l’œuvre : le politique, celui de la rue (c’est-à-dire la mafia) et le religieux, mais jamais aucun des pouvoirs n’a prédominé, l’Eglise assurant l’équilibre. A la différence de Naples, où le pouvoir criminel a pris le dessus. Rome est une exception historique.
Ces différents pouvoirs ont-ils réagi à la sortie du film ? Avez-vous subi des pressions ?
Pas du tout. Ce qui nous intéressait, c’est la réaction du public et comment le film allait plaire. Mais la réalité nous a rattrapés : quelques semaines après la sortie, un énorme scandale a éclaté -Mafia capitale- qui a montré des liens entre la pègre et les politiciens. Juste après, le maire de Rome a démissionné. C’était la preuve que tout ce qu’on racontait était réel.
Que représente la démission du pape Benoît XVI, qui dans le film prend une dimension apocalyptique?
Le film raconte un moment précis qui est l’effondrement du pouvoir religieux et du pouvoir politique et la scène où le pape se confie est un parallèle avec celle où Ratzinger a annoncé à ses hommes qu’il allait démissionner. D’ailleurs, c’est arrivé en même temps que la démission de Berlusconi. Donc c’est vraiment la toile de fond morale du récit, mais autrement, j’ai tourné le film avant que le scandale Mafia capitale n’éclate, ce qui fait de Suburra un récit prophétique.
En dehors de vos deux films ACAB et Suburra, vous avez beaucoup tourné pour la télé (les séries Romanzo criminale et Gomorra). Que vous a apporté cette expérience ?
La télé est un exercice constant et quotidien pour les séries, ça m’a donné une assurance technique incontestable que j’ai pu mettre à profit. Elle m’a permis de réaliser Suburra qui est un film choral complexe.
C’est peut-être un pas que devraient franchir en France les réalisateurs qui regrettent de devoir attendre trois ou quatre ans entre deux films.
C’est le drame du metteur en scène aujourd’hui. Idéalement, il devrait pouvoir tourner tous les jours pour se sentir plus libre avec son sujet et avec sa scène. Seule l’expérience de la pratique quotidienne permet de mettre en scène quelque chose d’un peu fou et d’un peu bizarre, lorsque l’occasion se présente.
Dans le film, une partie se passe à Ostie, c’est aussi là où commençait et finissait Romenzo criminale. Qu’est-ce qui vous attache à cet endroit ?
Je voulais vraiment finir la trilogie sur Rome avec une mise à jour. Ostie joue un rôle très important, parce qu'on oublie souvent que Rome ouvre sur la mer et Ostie en fait partie intégrante. Je voulais lui rendre hommage.
Votre père Sergio Sollima s’est distingué dans des genres très variés et notamment dans le film de crime. Que vous a-t-il apporté ?
A l’évidence, il m'a beaucoup encouragé. Etre le fils d'un metteur en scène est un grand avantage. Je suis né et j'ai grandi dans un monde rempli de cowboys, d’indiens et de pistolets. Ca m'a vraiment prédisposé au rêve et à l'imagination. J'ai appris beaucoup de la manière dont les films étaient tournés dans les années 70 et je tiens vraiment à réaliser des oeuvres de divertissement avec un regard social.
Vous étiez sur les tournages de votre père ?
Oui, j'étais toujours sur tous les tournages étant petit, les westerns d'abord, et ensuite les polars, et Sandokan en Inde et en Malaisie.
Suburra annonce une série télé qui sera diffusée sur Netflix. Quel rapport entretenez-vous avec eux ?
C'est Suburra qui a permis l'introduction de Netflix en Italie. Ils ont acheté le film fini, et donc ils ne l’ont pas produit au sens strict. Mais Netflix représente une nouveauté dans le monde de la production et de la distribution. Je suis abonné depuis que la chaîne existe. Ca a vraiment changé l'attitude du spectateur qui a maintenant la liberté de choisir ce qu'il veut regarder, quand, et en quelle quantité. Alors qu'avant, on attendait que ça soit programmé. Maintenant, on peut regarder une série entière à 3h du matin.
N'est-ce pas frustrant de voir des films de cinéma sur un petit écran ? Quel est l'avenir le cinéma en salles ?
Ce sont deux choses différentes. Le cinéma en salles ne disparaîtra jamais. Certains films gagnent indéniablement à être vus sur grand écran, d'autres ne souffrent pas trop du passage sur un écran de télé.
Quel sera votre rôle dans la série télé ?
Ce qui est sûr, c'est que je ne serai pas le metteur en scène. La trilogie m'intéressait, mais la série beaucoup moins, parce que j'ai déjà fait le film, ce serait une redite.
A quelle époque se situe la série ? Avant ce qui se passe dans le film ou après ?
Ce sera vraisemblablement plus un prequel qu'un sequel.
C’est logique, compte tenu de l’évolution de la plupart des personnages. Pour raconter l’après, il aurait fallu changer de comédiens Quelle importance leur accordez-vous ?
Les deux choses essentielles dans la réussite d'un film sont le script et les acteurs. Concernant ces derniers, je fais très attention à leur diction et à leur manière de parler. La distribution est très importante dans Suburra parce que chacun des acteurs représente un des mondes que je dépeins. Ils sont tous de très haut niveau. Alessando Borghi (qui joue Numero 8) est encore jeune, mais il est très doué.
Les personnages féminins aussi ont une importance inhabituelle dans ce genre. Comment les avez-vous conçus ?
Elles sont les deux seuls personnages positifs et humains dans ce monde qui ne respecte plus rien. C’est l’émotion qui les fait bouger alors que les autres ne sont motivés que par l'ambition. L'escort, en dépit de sa profession, reste fidèle à l'homme qui cherche à la protéger. L'autre, Viola, aime sans condition. Elle ne fait que suivre son instinct qui est de défendre son homme, mais en fin de compte, elle détruit complètement l'équilibre de la ville…
Interview Gérard Delorme
Suburra de Stefano Sollima avec Pierfrancesco Favino, Elio Germano, Claudio Amendola sort en salles le 9 décembre
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