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L’Etalon Italien au Panthéon ? Sa performance belle à chialer dans Creed, le spin-off de Rocky, excite les bookmakers, qui lui prédisent l’Oscar du meilleur second rôle en février prochain. En attendant le happy-end, histoire d’une (lente) résurrection.

Un Oscar pour Stallone ? Certains d’entre nous en rêvent depuis une bonne quarantaine d’années. Et il n’y a que les américanophobes restés coincés circa 1987-88 pour s’étonner qu’on puisse fantasmer à l’idée de voir Sly brandir une statuette dorée sur la scène du Kodak Theater. 87-88, c’étaient les années Rocky IV / Over the Top / Rambo III, celles de l’idole reaganienne stéroïdée et décérébrée, des pecs gonflés, des navets friqués, de l’ego surdimensionné. « Over the top », ouais. Le moment où on a commencé à comprendre que le chemin qu’avait choisi d’emprunter Stallone – l’actionner bonnard et bourrin – était peut-être une voie de garage. Dix ans plus tôt, au moment du carton de Rocky, il avait l’embarras du choix. Plein de cordes à son arc. Il aurait pu devenir un grand character actor, par exemple, le Pacino prolo de Hell’s Kitchen. Il décida de distribuer les bourre-pif, et finit par devenir une star, puis une icône, puis carrément un mythe. Un mythe du cinéma d’action. Mais niveau respectabilité, que dalle. Zéro pointé. Les Oscars ? Plus une seule nomination depuis le doublé de Rocky en 76 (meilleur scénariste et meilleur acteur). En revanche, s’il était allé les chercher, il aurait pu avoir sur sa cheminée une belle collection de Razzie Awards (ces Oscars parodiques, qui récompensent ce que l’industrie produit de plus accablant). Pire acteur pour Rambo II, pire réalisateur pour Rocky IV, pire acteur de la décennie 80’s, pire couple de cinéma pour son duo avec Sharon Stone dans L’expert, pire cameo pour Spy Kids 3 : Mission 3D, pire acteur du siècle (un trophée spécial pour l’ensemble de son œuvre)… La gloire et la chute. Les coups dans la gueule. L’histoire de sa vie.

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Pour le fan-club de Sly, le buzz qui entoure sa perf dans Creed et lui prédit l’Oscar du meilleur second rôle est donc la très bonne nouvelle du moment. Salué par les critiques, projeté dans des salles combles, le film est bon. Très bon. Un beau mélo de boxe à l’ancienne, qui vise juste, tape fort et fait pleurer dans les chaumières. Stallone est objectivement superbe dedans, usé mais impérial. C’est le premier volet de la saga qu’il n’a pas écrit lui-même, et l’Académie pourra y trouver plein de jolies métaphores à filer : le come-back de la vieille idole qui a mangé son pain noir, le passage de flambeau à une nouvelle génération, l’humilité et la persévérance qui font les grands champions. Près de quatre décennies ont passé depuis le premier opus (Oscar du meilleur film 76, qui envoya Taxi Driver et Les Hommes du Président au tapis), et l’Hollywood d’aujourd’hui ne vibre plus qu’aux recettes d’hier, surtout quand elles datent de la deuxième moitié des 70’s (Star Wars, oui, par exemple). Stallone est arrivé au sommet, s’est brûlé les ailes, a chuté plusieurs fois, s’est relevé, toujours plus meurtri, plus cabossé, plus émouvant, plus mort-vivant, accomplissant in fine le programme christique annoncé dès ses débuts, dès… Rocky, justement. Voilà une superbe histoire à raconter le soir au coin du feu, une légende à imprimer noir sur blanc dans les colonnes de Variety. Le Balboa de Creed est un rôle à la Ben Johnson (Oscar du meilleur second rôle 72) dans La Dernière Séance : le vieux cowboy qui projette des westerns d’un autre temps à la nouvelle génération dans son cinéma décati, avant de tirer le rideau. Mais ce storytelling sentimental n’a jamais été une garantie de succès. Sur le papier, le Michael Keaton de Birdman (autre gloire eighties précocement ringardisée) et le Mickey Rourke de The Wrestler (autre gloire eighties à la gueule défoncée) avaient tout pour gagner. Ils sont pourtant rentrés chez eux bredouilles.

Creed : le spin-off de Rocky met K.O.

Les difficultés de la reconversion en acteur « Oscar-compatible », Stallone connaît. Il avait déjà tenté (et raté) le coup à la fin des années 90, dans le Copland de James Mangold. C’était juste après Pulp Fiction, juste après la résurrection de Travolta, ce moment où tous les has-been des décennies 70-80 fonçaient se forger une nouvelle crédibilité dans le circuit indé. Entouré d’un cast de killers scorsésiens (Keitel, De Niro, Liotta), Sly était déchirant en shérif sourdingue et hébété, mais personne n’était là pour le constater. Le film dégagea des salles US comme un pet sur une toile cirée. L’homme venait de dépasser la cinquantaine, c’était sans doute un peu tard pour faire avaler au public un virage « dramatique » digne de ce nom. A ce stade, seul Tarantino himself aurait pu lui offrir la crédibilité qu’il recherchait. Mais par deux fois, le deal avec QT capota, Sly prétextant d’abord des problèmes d’emploi du temps (pour Jackie Brown), puis un dilemme « moral » (trop de femmes tuées à l’écran dans Boulevard de la mort). La vérité, c’est sans doute que toutes ces tarantinades étaient trop postmodernes pour lui. Le génie de Stallone ne s’apprécie pas au second degré.

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Sans public pour le soutenir, sans grand réal pour le filmer (contrairement à Schwarzie ou Bruce Willis), sans mandat politique à briguer, Stallone aura du inventer lui-même les conditions de sa survie. De sa résurrection, plutôt. Creed vient ainsi couronner un époustouflant run de dix ans, entamé en 2006 avec le hit surprise de Rocky Balboa (un film conçu comme une tournée d’adieu, mais qui s’est transformé en nouveau départ), poursuivi avec l’hallu John Rambo, et couronné par le carton Expendables. Dix ans de promenades dans les vestiges de sa propre légende, un long post-scriptum écrit sous les hourras de la foule déchaînée, quelque chose comme l’équivalent des années Impitoyable / Gran Torino de Clint Eastwood. Zen et réflexif, crépusculaire, le regard braqué sur l’éternité. Stallone étant Stallone, il n’a bien sûr pas pu s’empêcher les écarts de conduite, les choix de carrière qui tâchent (Evasion, la nanardisation express de la franchise Expendables… ). Mais son jeu s’est bonifié (« J’ai passé dix ans dans les ténèbres à enchaîner les bides, ça fait qu’il y a plus d’émotion et de densité dans mon jeu », analysait-il lui-même récemment), et son épaisseur mythologique est sans égal. L’évidence même. Alors, the Oscar goes to… ? A la veille du match de sa vie, il y a près de quatre décennies de ça, Rocky Balboa disait à Adrian : « Peu importe si je perds ce combat. Peu importe qu’Apollo Creed me fracasse le crâne. L’essentiel, c’est que je tienne la distance. » Ça, tenir la distance, peu de gens pourront se vanter de l’avoir fait avec autant d’acharnement que lui. Mais c’est encore mieux quand le héros gagne à la fin, non ?

Stallone prix du meilleur second rôle

Rendez-vous le 13 janvier dans les salles pour Creed et le 28 février pour la cérémonie des Oscars.