Le délirant cartoon qui ouvre le film de Todd Phillips est signé du réalisateur français des Triplettes de Belleville. Entretien.
Joker Folie à Deux de Todd Phillips débute par un cartoon volontairement vintage. Ce bijou est signé du Français Sylvain Chomet, l’auteur des Triplettes de Belleville deux fois nommé à l’Oscar en 2004. On y voit le Joker agressé par son ombre. Rythmé sur le tubesque What the World Needs Now is Love de Burt Bacharach et sous influence pleinement affirmée (Tex Avery, Merrie Melodies...), ce pré-film dit déjà tout de ce qui va suivre, soit le calvaire d’un individu en pleine dépossession de lui-même. Alors qu’il prépare son prochain long-métrage autour de l’œuvre de Marcel Pagnol, Sylvain Chomet nous parle de ce rêve américain.
Comment vous êtes-vous retrouvé à travailler pour cette suite du Joker ?
Sylvain Chomet : Le plus simplement du monde. J’ai reçu un mail très humble de Todd Phillips qui disait en substance : « Je suis le réalisateur du Joker. Pour le prochain volet, je voudrais faire une ouverture en dessin animé à la manière des Triplettes de Belleville... Seriez-vous d’accord pour participer au projet ? » Je venais alors à peine de découvrir son Joker en vidéo que j’avais adoré, j’ai donc accepté sans hésiter. A partir de là, tout est allé très vite. Nous avons communiqué par visioconférence. Je n’ai rencontré Todd Phillips physiquement qu’à la première du film à Londres. La réalisation du cartoon a nécessité huit mois de travail.
En tant que cinéphile, êtes-vous un passionné des films de super-héros ?
A priori non. C’est d’ailleurs pour ça que je ne m’étais pas précipité en salles pour voir le premier Joker. On m’a offert le Blu-Ray du film pour mon anniversaire, persuadé que j’allais l’adorer. J’avais peur qu’il faille au préalable avoir une connaissance de tout un univers, une généalogie de personnages dont je ne connaissais rien. J’ai été immédiatement surpris par le réalisme très noir du film. Joker, c’est l’itinéraire d’un pauvre type, très malheureux. Todd aime prendre le public à contre-pied. C’est d’ailleurs le cas avec Folie à Deux qui ne ressemble en rien au précédent volet et joue avec les codes de la comédie musicale et de l’animation.
Que saviez-vous de Folie à Deux avant de commencer à travailler dessus ?
Todd m’avait juste montré les deux premières minutes du film avec ces grands couloirs de la prison, les prisonniers en file indienne... On découvre bientôt le Joker et notamment ces plans sidérants des omoplates de Joachim Phoenix dans tous les sens. C’était très sombre et parfaitement raccord avec la fin du dessin animé où le Joker se fait tabasser et finit en sang.
Avez-vous l’habitude de travailler sur commande ?
J’ai déjà été sollicité pour le clip de Stromae (Carmen) ou par Matt Groening pour l’une des séquences d’ouverture d’un épisode des Simpson. Deux expériences très heureuses ! Lorsque j’ai reçu le mail de Todd Phillips, je travaillais sur le storyboard animatique de mon prochain long-métrage, dont le sujet est Marcel Pagnol. J’étais donc en pleine création. La chose a été possible grâce au système de production hollywoodien qui offre de bonnes conditions de travail et permet d’avancer rapidement. J’ai très vite pu réunir une équipe autour de moi.
Quelles ont été les intentions de départ ?
Todd m’a envoyé un traitement assez précis de deux trois pages où il expliquait ce qu’il voulait. A moi ensuite de créer les personnages et l’univers. J’ai tout de suite proposé de faire quelque chose qui s’inspirait plus de Tex Avery que de Betty Boop. Todd avait d’abord imaginé de l’animation en noir et blanc à la manière du début des Triplettes de Belleville. L’idée était que le film débute de façon très joyeuse et ce dès le logo Warner si caractéristique pour basculer progressivement dans le tragique. Je me souviens que Todd avait écrit : « A la fin ils le tabassent jusqu’à ce que ce ne soit plus drôle du tout... » La présence du sang sur le visage du Joker est très osée et inattendue pour un cartoon.
Comment voyez-vous votre Joker ?
Comme un pauvre type obnubilé pour la célébrité... Il recherche tout le temps le micro et la lumière, avant qu’il ne rencontre enfin Harley Quinn et change complètement d’obsession.
Y-a-t-il eu beaucoup d’allers et retours entre Todd Phillips et vous ?
Une fois que nous nous sommes mis d’accord sur l’esprit général, j’ai travaillé assez librement. Le grand changement a été la musique qui accompagne le film. Nous avons travaillé à partir du rythme de Cheek to Cheek par Frank Sinatra. C’est finalement, What The World Needs Now is Love de Burt Bacharach qui a été choisi. Heureusement, ce morceau collait au tempo de notre montage.
Sylvain Chomet (Les Triplettes de Belleville) présente les premières photos de Marcel et Monsieur PagnolN’y a-t-il pas eu de frustrations sur le plan créatif ?
J’ai déjà été sollicité par des studios hollywoodiens par le passé, et à chaque fois l’expérience s’est révélée compliquée. Todd m’a tout de suite rassuré en me disant : « Je serai ton seul interlocuteur... » C’est effectivement ce qui s’est passé. De réalisateur à réalisateur, nous nous comprenions parfaitement. Todd est très intéressé par l’animation, il était à l’écoute.
Qu’est-ce qu’il recherchait selon vous en vous choisissant ?
Les deux nominations des Triplettes de Belleville aux Oscars et la prestation musicale de Benoît Charest lors de la cérémonie ont entraîné beaucoup de sollicitations de la part d’Hollywood. Le film a, en effet, énormément marqué les américains. Mon héritage vient d’abord de la bande dessinée franco-belge, c’est là où j’ai fait mes armes en tant que dessinateur et scénariste. Puis je suis parti à Londres où j’ai été formé aux techniques de l’animation. C’est ce double héritage qui plaît, à la fois très ancré dans ma culture mais soutenu par une approche très anglo-saxonne de la technique. L’un de mes maîtres est l’animateur canadien Richard Williams, responsable entre autres de la direction de l’animation de Qui veut la peau de Roger Rabbit ? Todd voulait une animation techniquement irréprochable. Il pensait que je pouvais lui offrir.
Un mot sur votre prochain film, Marcel et Monsieur Pagnol. Où en êtes-vous ?
Nous terminons actuellement la partie animation. Les couleurs sont déjà là, la musique aussi. Nous allons bientôt enregistrer les voix car, contrairement à l’univers de Tati, avec Pagnol, ça parle tout le temps !
Que raconte ce film exactement ?
Le scénario s’inspire directement de plusieurs ouvrages autobiographiques de Pagnol dont Cinématurgie de Paris autour de son parcours de dramaturge, de cinéaste et enfin d'écrivain. Je raconte ici l’histoire du petit Pagnol, 10 ans, en culotte courte qui galope dans la garrigue et rencontre son alter-égo de 62 ans au moment où il va justement débuter l’écriture de ses romans sur sa jeunesse, ses amours... Ce que peu de gens savent, c’est que Pagnol a d’abord été professeur d’anglais... Il a ensuite écrit des pièces pour devenir l’un des plus grands dramaturges de l’époque. En 1927, il découvre le cinéma parlant et décide de laisser tomber le théâtre pour devenir réalisateur. Mon film raconte donc ces différents passages d’un art à un autre. Je veux que l‘on retrouve la musique de Pagnol, la gouaille... Je veux que ce soit joyeux... J’espère que ça va donner aux gamins l’envie de créer, d’écrire...
Joker, Folie à Deux de Todd Phillips. Avec: Joaquin Phoenix, Lady Gaga, Brendan Gleeson... Durée: 2h19. En salles
Commentaires