35 ans après sa sortie, le film de SF culte est à l'honneur sur Arte. Tout comme son réalisateur, via le documentaire Paul Verhoeven, cinéaste de la provocation.
Paul Verhoeven sera à l'honneur ce dimanche sur Arte. La chaîne reprogramme Robocop, l'un de ses films les plus célèbres, sorti en France en début d'année 1988, puis le docu Paul Verhoeven, cinéaste de la provocation, qui est déjà visible gratuitement en replay (il sera disponible sur le site de la chaîne jusqu'au 5 avril 2023). Celui-ci a été tourné en 2015, au moment où il terminait le montage d'Elle, avec Isabelle Huppert. Le cinéaste hollandais y revient en détails sur sa carrière, confiant de multiples anecdotes illustrées par des images d'archives réunies par la réalisatrice Elisabeth van Zijll Langhout et son équipe.
A l'occasion de cette rediffusion de Robocop, qui coïncide avec le 35e anniversaire du film, retour sur sa fabrication, via une dizaine d'anecdotes méconnues.
"Robocop est un Jésus américain"
« RoboCop est un conte chrétien », assure Verhoeven. « Murphy est abattu d'une manière horrible. Ca, c'est la crucifixion. A partir de là, c'est sa descente au tombeau. Jusqu'à ce qu'il ressuscite d'une façon plus moderne. RoboCop est une figure christique. Mais c'est un Jésus américain ». Un Jésus américain ? Il suffit de voir la scène où il va flinguer Clarence Boddyker. Murphy marche littéralement sur l'eau avant de dire : « Je ne suis pas là pour t'arrêter ». Sous-entendu : Murphy en a marre de tendre l'autre joue. « Les Américains aiment bien se voir en humanistes. Mais quand ça devient trop long, quand ça prend trop de temps, alors ils mettent leur morale chrétienne au vestiaire et prennent les armes. Tout comme RoboCop ». Un bon résumé du Hollandais violent.
A l'origine était Blade Runner
À l'origine de RoboCop, on trouve deux inconnus : Michael Miner et Ed Neumeier. Neumeier a une vingtaine d'années au milieu des 80's. Analyste de script pour la Warner, il cherche comme tout le monde à faire produire ses propres scénarios. En vain. « Mon bureau était situé dans le studio et un soir, alors que je travaillais tard, j'ai entendu un bruit de fou. On tournait un film énorme. À l'époque, c'était plus cool : on pouvait se pointer sur le plateau et filer un coup de main ; j'ai donc commencé à travailler au département artistique de ce film. Il y avait Harrison Ford et j'ai vite découvert qu'il s'agissait de Blade Runner - que ça parlait de robots. Quelqu'un me montra Sean Young en me disant : « Tu sais ce qu'elle joue ? Un robot » Un soir, assis devant le parking, je regardais les bagnoles du film et j'ai eu cette image d'un robot. RoboCop, bleu, sans doute parce que les voitures étaient bleues, et d'un seul coup c'était fixé. J'avais le titre et le pitch de mon scénario. »
Schwarzie et le menton de Peter Weller
Neumeier et Miner écrivent très vite un script qu'ils vont proposer à Orion, studio des 80's qui a produit Amytiville, Amadeus, quelques Woody Allen et le récent Terminator. C'est la raison pour laquelle les producteurs pensent dans un premier temps à Arnold Schwarzenegger pour endosser le costume du superflic. Schwarzie venait de cartonner dans Terminator (succès surprise d'Orion) et son potentiel de star mécanique était au top. Mais pour le cinéaste Paul Verhoeven, le musclor autrichien était trop large pour être convaincant. L'idée ne prend pas. Rutger Hauer (avec qui Verhoeven venait de tourner l'extraordinaire La Chair et le sang), Tom Berenger, Armand Assante et Michael Ironside ont un temps été pressentis pour jouer Robocop. Mais c'est finalement Peter Weller qui décroche le rôle. La raison ? « Son menton, parfait » selon Verhoeven.
Jonathan Kaplan, Alex Cox et David Cronenberg ont failli le réaliser… ou pas
On l'a oublié, lui. Le premier cinéaste à avoir lu le script de RoboCop fut Jonathan Kaplan, le réalisateur de Pied au plancher. C'est lui qui met Neumeier et Miner en contact avec Rob Bottin et le producteur Jon Davison. Kaplan ne s'engagera pas sur Robocop préférant aller réaliser le Projet X avec Matthew Broderick. Alex Cox a connu Michael Miner sur les bancs de UCLA et travaille dans un bureau contigu à celui de Neumeier et Miner. Il donne quelques conseils aux deux scénaristes et sera même envisagé pour réaliser le film, qu'il refuse pour travailler sur son Sid et Nancy. David Cronenberg est très vite mis en haut de la wishlist (comme pour tous les projets de SF violente de l'époque). Cronenberg, qui venait de travailler sur une adaptation de Total Recall refusera, mais saura se souvenir de Peter Weller lorsqu'il adaptera Le Festin Nu. Neumeier : « En fait beaucoup de cinéastes qui travaillaient à l'époque avec Orion ont reçu le script. Lewis Teague a dit non et réalisa Le Diamant du Nil à la place. Thom Eberhart a été approché, Jim McBride... j'ai toujours pensé que la plupart n'allaient pas plus loin que le titre. » Jusqu'à Verhoeven.
Verhoeven trouvait le script à chier
Le script passe entre les mains de nombreux réalisateurs avant d'échouer sur le bureau de Paul Verhoeven en vacances dans le Sud de la France. Il lit d'un oeil cette histoire de flic-robot, refuse avant que sa femme ne lui dise qu'il ne pouvait pas passer à côté de ça. Génie ultra-violent venu de Hollande, Verhoeven a mis un point final à sa carrière européenne avec La Chair et le sang, incroyable drame médiéval avec Rutger Hauer et Jennifer Jason Leigh. Cette barbarie moyennâgeuse, financée par Hollywood mais tournée en Europe, préfigure sa période hollywoodienne (Total Recall, Basic Instinct, Starship Troopers...), qui ne s'ouvrirait vraiment qu'avec RoboCop. Qu'il a donc failli louper. « Quand j'ai lu le script, je l'ai trouvé à chier. Trop enfantin ! Je le jette à la poubelle. C'est ma femme qui l'a récupéré, l'a lu et m'a dit : 'Relis le. Il y a plein de niveaux de lecture que tu as sous-estimés. Ce n'est pas seulement ce que tu crois.' Je l'ai donc relu. Encore et encore. Et j'ai commencé à comprendre ce qu'il y avait vraiment d'écrit. Ce n'était pas souligné, jamais dit avec emphase ».
Weller travaille 7 mois avec un mime...
Peter Weller est un acteur exigeant formé à la Méthode : « J'ai pris des cours avec Uta Hagen, et j'ai travaillé à l'Actor Studio sous l'égide de Kazan et Strasberg, deux de mes héros. Quand j'ai commencé à imaginer Robocop, j'ai tout de suite cherché le mouvement intérieur de ce type. Il me fallait une approche physique et c'est pour ça que j'ai décidé de me tourner vers le mime ». Weller rencontre beaucoup de professionnels, qui veulent lui faire faire de la pantomime. Avant de tomber sur Moni Yakim. Ce mime d'origine israélienne a suivi les cours des plus grands, Etienne de Croux, Jean-Louis Barrault et Marceau. La première chose qu'il explique à Weller est incompréhensible : « Ce que nous devons faire ici, c'est trouver un mouvement un peu liquide, avec un staccato à la fin. C'est comme du beurre, mais avec une définition dure à l'issue du mouvement ». Weller est conquis. Et avec Yakim ils travaillent 4 heures par jour pendant 7 mois. Au bout du compte, ils parviennent à trouver une démarche fluide, hyper athlétique, très inspirée par les mouvements du serpent. Leur robot est prêt. Weller est prêt. L'armure non.
... avant d'être viré pendant deux jours
Après de nombreux conflits sur le look du robot, Verhoeven et Rob Bottin (le génie des effets spéciaux qui a notamment conçu The Thing de John Carpenter) parviennent enfin à un design satisfaisant (« A un moment donné, on ne se parlait plus avec Rob, mais quand on est arrivé au résultat final, on savait que l'on avait le robot le plus dingue du cinéma SF »). Le tournage a déjà pris du retard et Weller n'a pas encore vu l'armure. Lorsqu'il découvre son costume sur le plateau, l'acteur est catastrophé : il a travaillé sa démarche et ses gestes avec un équipement de foot américain sans jamais imaginer que l'armure serait aussi lourde. Il panique et se retranche dans sa caravane. Après 12 heures de négociations et d'attente, Verhoeven décide d?'aller le voir, prêt à le tuer pour son manque de coopération. Mais lorsqu'il tombe sur Weller en robot, Verhoeven est conquis, il tourne autour du personnage et imagine déjà les angles de caméra possible. Jusqu'à ce que la voix de Weller sorte de la tôle : « Je déteste ça ! Je ne peux pas le faire ». Il ne veut pas jouer le personnage s'il n'y croit pas de manière inconditionnelle. La situation est bloquée. Le producteur Jon Davison décide alors de prendre une mesure typiquement hollywoodienne : virer l'acteur. Une idée folle puisque Peter Weller était le seul à pouvoir entrer dans ce costume confectionné à sa taille pour la modique somme de 600 000 dollars. « L'idée que l'on puisse laisser quelqu'un d'autre entrer dans le costume était une illusion. Ce licenciement était un coup de bluff », expliqua des années plus tard Davison. S'ensuivirent des négociations et le rapatriement du mime sur le tournage. Qui sauve la situation avec une idée brillante. Peter Weller : « Moni me dit qu'on devrait tout ralentir, utiliser le poids du robot. Et RoboCop a eu l'air plus pathétique. Je marchais non plus avec mon talon mais avec la plante des pieds. Il n'était plus un homme de fer léger, mais un type pas sûr, beaucoup plus humain. Paul a créé son film autour de cette créature de métal triste »
Monte Hellman a réalisé les scènes d'action
Quel rapport entre le road movie existentiel Macadam à deux voies et RoboCop ? Monte Hellman. Issu de la promo Roger Corman (avec ses potes Francis Ford Coppola, Brian De Palma, Jack Nicholson et Scorsese), Hellman aura été le cinéaste maudit de la bande, celui qui reste toujours sous le radar. Auteur d'une poignée de chef d'oeuvre (Macadam, mais aussi Road To Nowhere ou Cockfighter), Hellman tombe dans l'oubli au début des années 80. Et ses amis essaient tout pour le tirer de là. Sur RoboCop, il dirige donc la seconde équipe, mais il aurait pu signer le film. Hellman : « Je devais réaliser le film, et le producteur qui était un ami est venu me voir en me disant que je n'avais pas les épaules pour réaliser un film d'action. Il m'a quand même engagé pour réaliser... les scènes d'action. Allez comprendre ».
Stan Lee pensait que ce ne serait jamais aussi bien que Terminator
Shazam ? On vous entend d'ici : que vient faire le moustachu génial des comics dans cette histoire de tin man crypto fasciste ? Lorsque Neumeier imagine le script de RoboCop, le jeune scénariste hésite d'abord entre un scénario de film et une série de comics. « J'ai vu Terminator, alors que RoboCop n'était pas encore en production. J'ai emmené Michael Miner et Stan Lee dans une salle de projo de la Paramount. En fait, notre idée était simple : on venait de pitcher RoboCop à Stan pour savoir si ça l'intéressait de lancer une série de comics. On aurait développé des BD avant d'en tirer une série de films. On regarde donc Terminator ensemble et lorsque les lumières se rallument, Stan se tourne vers nous : 'Les mecs : vous ne ferez jamais aussi bien que ça !' Et on n'a jamais fait de comics ». Mais sans Terminator, pas de RoboCop, pourtant. Si le film de Cameron n'avait pas été un succès, Orion ne se serait jamais commis dans un film de robot ultra violent. On raconte même que les producteurs n'étaient, à la base, pas très fiers du film de James Cameron. Ce n'est que bien après le succès du film qu'ils se sont dit que RoboCop pourrait surfer sur cette vague de films mechas.
Nixon a été payé 25 000 dollars pour faire la promo du film
Dès sa sortie, RoboCop est un succès critique (les journaux voient tout de suite le second degré satirique, le même qu'ils louperont dans Starship Troopers quelques années plus tard), ramasse 50 millions de dollars et devient immédiatement un film culte : 2 suites, une série TV, des jeux vidéos et étrangement, deux séries animées pour les gosses. Une campagne de fan réussit même à réunir 70 000 dollars pour construire une statue du flic robot à Détroit. Mais dans le genre marketing, rien ne dépassera le hold up d'Orion qui rassemble Nixon et RoboCop pour une poignée de main historique. L'ancien président avait été payé 25 000 dollars pour la sortie de la VHS. On ne sait pas ce qu'il avait pensé du film.
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