En 1985, Michael Cimino est un homme à terre. Tourné pour se remettre en selle, L’Année du Dragon sera son dernier combat, son dernier chef-d’œuvre, le dernier clou dans le cercueil du Nouvel Hollywood. Après ça, rideau.
Dans une interview inédite proposée en bonus de l’édition « collector » (tirage limité à 3000 exemplaires, visuel somptueux…) de L’Année du Dragon, Michael Cimino cite au détour d’une phrase le boxeur Rocky Marciano : « Ce ne sont pas les muscles qui comptent, ni la puissance de tes coups, mais ta capacité à te relever ». Il sait de quoi il parle – peu de cinéastes ont mordu la poussière comme lui.
Torpillé à l’orée des années 80 par l’échec colossal de La Porte du Paradis (qui n’allait pas tarder à entrer dans les livres d’histoire comme l’avis de décès du Nouvel Hollywood), Cimino était passé en un clin d’œil du statut de wonderboy oscarisé à celui de dangereux pestiféré. Il mettra cinq ans à tourner de nouveau. Mais il n’est alors plus question de dépenses pharaoniques, de se perdre dans un dédale de détails sans fin.
L’Année du Dragon (l’histoire d’un flic vétéran du Vietnam qui veut faire le ménage dans Chinatown) sera livré en temps et en heure à son producteur Dino de Laurentiis. Cimino a voyagé au bout de l’enfer, refermé la porte du paradis ; il est maintenant au purgatoire. Ce film est son acte de contrition.
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Guerrier suicidaire
Les autres démiurges seventies en sont presque tous là. Obligés de se refaire une santé commercialement. Coppola tourne Peggy Sue, Scorsese La Couleur de l’Argent, Friedkin cachetonne à la télé… L’Année du Dragon est donc une œuvre de son temps. Obsédée par le fric, le bling, les drogues dures, les night-clubs éclairés au néon, les méchants Asiatiques en costards de luxe et les happy ends à la con. Mais si le décorum est 80’s à mort, l’antihéros Stanley White, lui, est un pur reliquat des années 1970.
Un intello mélancolique qui passe ses nuits à théoriser sur l’histoire de l’Amérique et des Triades, un idéaliste manifestement égaré dans la mauvaise décennie. C’est un autoportrait du cinéaste en guerrier suicidaire, bien sûr. Mais le film aurait surtout dû représenter pour lui un nouveau départ. Mauvaise pioche : ce fut un nouvel échec commercial.
Deux ans plus tard, l’horrible et opportuniste Sicilien démontrait que Cimino avait baissé les bras. L’Année du Dragon aura été son dernier triomphe (artistique), un chef-d’œuvre déchirant et totalement électrisant. Ironiquement, la réplique finale du film fut imposée par le studio. Le scénariste OIiver Stone, qui s’apprêtait à tourner Platoon, avait écrit : « Quand la guerre s’éternise, on finit par épouser l’ennemi ». On colla finalement une phrase passe-partout dans la bouche de Mickey Rourke (« J’arrive pas à être un mec bien »), qui affadissait le propos. Cimino s’est battu, chaque seconde de ce film démentiel le prouve. Mais il n’a – littéralement – pas eu le dernier mot.
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