Ce documentaire signé Alexandre O. Philippe détaille le rapport passionnel qu’entretient William Friedkin avec son chef-d’œuvre.
Vous reprendrez bien un petit docu sur William Friedkin ? Quelques mois à peine après le roboratif Friedkin Uncut, qui racontait par le menu l’explosive carrière de "Hurricane Billy", en voici déjà un autre, entièrement consacré celui-ci au "greatest hit" du cinéaste, L’Exorciste, méga-carton de l’année 1973, gigantesque phénomène de société et totem du cinéma d’horreur. A priori, on est d’accord, regarder un énième documentaire sur L’Exorciste ne ressemble pas à une priorité cinéphile absolue… Car on parle là, après tout, de l’un des films les documentés et commentés de l’histoire du cinéma. Sa fabrication a été examinée sous toutes les coutures : articles par milliers, livres, making-of, commentaires audio, sans compter les dizaines de pages qui lui sont consacrée dans l’autobiographie Friedkin Connection, le documentaire BBC The Fear of God…
Mais le réalisateur Alexandre O. Philippe, en réalité, ne cherche pas du tout à proposer une somme des connaissances (ou des légendes urbaines) sur L’Exorciste. Ce qui ne surprendra pas ceux qui connaissent le travail de Philippe, l’un des documentaristes et historiens du cinéma les plus originaux et intéressants du moment – on lui doit notamment un film sur la relation d’amour-haine entre George Lucas et les fans de Star Wars (The People vs. George Lucas) et un autre, nommé 78/52, décortiquant obsessionnellement la scène de la douche de Psychose.
David Gordon Green (Halloween Kills) prépare la suite de L'ExorcisteAlexandre O. Philippe a choisi de laisser libre cours à la parole de William Friedkin, seul et unique invité de son documentaire. Friedkin, on le sait, est un conteur hors pair, un showman extraordinaire, sachant captiver un auditoire comme personne. Il se régale ici à revenir sur les provocations folles du film, la dinguerie de son tournage, sa brutalité envers ses comédiens… Les anecdotes sont connues, il sait qu’on a payé pour voir ça. Mais il y a plus en jeu ici que l’habituel numéro friedkinien. Durant l’heure et les quarante minutes que dure Leap of faith (son titre VO), c’est à l’examen du rapport intime entre un artiste et son œuvre phare que nous sommes conviés.
Le cinéaste raconte l’inspiration qui lui tombe dessus en un éclair ("J’ai vu tout le film défiler dans ma tête") et qui le fera tourner avec "la confiance du somnambule" – une expression empruntée à Fritz Lang. Il détaille la composition de ses plans, la méticulosité de chaque choix de mise en scène, citant ses multiples sources d’inspiration (de Resnais et Dreyer à Magritte et Vermeer) avec une érudition et une éloquence fascinantes. Friedkin, près d’un demi-siècle après, continue d’entretenir une relation totalement passionnelle à son film, cette réflexion sur le mystère de la foi qui aura déclenché en lui un torrent de visions démentielles. Sa tchatche monstre, qui mêle la sensibilité de l’artiste visionnaire et la rouerie du bonimenteur de foire, frappe d’autant plus qu’Alexandre O. Philippe lui offre ici un écrin très élégant, ponctué d’extraits de films (Psychose, Une passion, 2001…), sélectionnés avec parcimonie. En privilégiant l’épure et la simplicité, choisissant de s’attarder sur des aspects très précis du film comme on étudie le détail d’une toile de maître, il souligne la profondeur de ce totem du cinéma moderne et signe une ode enivrante à l’acte créatif. Qui a dit qu’il n’y avait plus rien à raconter sur L’Exorciste ?
L’Exorciste selon William Friedkin (Leap of Faith : William Friedkin on The Exorcist), de Alexandre O. Philippe, en VOD.
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