La trilogie superhéroïque de M. Night Shyamalan se termine en beauté avec Glass, synthèse improbable mais séminale d’Incassable et de Split.
La fin de Split, amusante relecture Blumhouse (entendez, ironique, méta et cracra) des films de superhéros, nous avait laissés KO. On y voyait Bruce Willis, toujours aussi hiératique, observer d’un œil sévère cabotiner James McAvoy. D’un coup, en un plan “shyamalanesque” (caméra à mi-hauteur cadrant furtivement le personnage), la mythologie Incassable nous revenait en pleine figure. David Dunn, le Superman près de chez vous, était de retour, prêt à affronter La Bête, la personnalité la plus flippante du schizophrène XXL Kevin Wendell Crumb. Restait à intégrer à l’équation Elijah Price, l’homme de verre, incarné par le charismatique Samuel L. Jackson dans le film séminal d’origine. Séminal ou simple élément d’un puzzle dont les pièces majeures seraient contenues dans Glass, clef de voûte du Shyamalan Universe ?
Shyamalan an III
Les vingt premières minutes sont la suite directe de Split avec David Dunn, désormais épaulé par son fils Joseph (joué par le même acteur, à 19 ans de distance), qui traque La Bête, ravisseur de quatre pom pom girls enchaînées dans une bâtisse désaffectée. James McAvoy fait de nouveau le show, en passant de l’enfant zozoteur à la maîtresse-femme ou au doctorant avec un plaisir partagé. De son côté, Bruce Willis débite ses dix dialogues du film avec le ton monocorde qui le caractérise. L’affrontement a finalement lieu. Il se révèle aussi spectaculaire qu’une engueulade dans un Nuri Bilge Ceylan et se clôt d’ailleurs par une capture en bonne et due forme par les forces de police. Bienvenue chez Shyamalan, le vrai, celui d’avant les bides colossaux et le trompeur mais réjouissant Split -qui devait répondre aux canons du style Blumhouse ; celui des longs tunnels de dialogues méta et existentiels et des plans énigmatiques où se loge l’imaginaire du spectateur.
Les comics c’est moi
Place désormais à l’asile, décor principal de Glass dans lequel Dunn et Crumb vont retrouver Elijah Price, mutique et cloué dans son fauteuil. « Mon film tente l’amalgame entre Superman et Vol au-dessus d’un nid de coucou », nous déclarait récemment Shyamalan -lire sa passionnante interview dans le numéro de Première actuellement en kiosques. De fait, tous les éléments du film d’asile sont en place : les décors désincarnés, les aide-soignants brutaux, l’infirmière mielleusement sadique. Pas une infirmière, pardon, une psy : interprétée par Sarah Paulson, cette Ellie Staple va tenter de nous faire gober, ainsi qu’aux trois larrons, que le superhéroïsme n’existe pas, que ce n’est qu’une vue de l’esprit malade de ses patients. Shyamalan poursuit sa déconstruction de la mythologie comics entamée dans Incassable où David Dunn ne se résolvait pas à accepter sa condition sur laquelle Elijah Price lui ouvrait les yeux. Tout cela était-il donc faux ? Simple mascarade découlant de nos envies de bravoure ou de nos délires mégalomanes, alimentés par le hold-up des comics sur la pop culture ? En filigrane, Shyamalan tacle Marvel et DC qui ont dévoyé l’esprit troupier et innocent des comics pour en faire des symboles de la toute-puissance américaine. Ce faisant, il se place en véritable gardien du temple, quitte à agacer -ce sera certainement le cas.
Supertwist
À la faveur d’un dernier tiers, consacré à la tentative d’évasion des trois inséparables (malgré eux), Shyamalan s’autorise un twist dont il a le secret. Un twist moins surprenant que raccord avec sa vision d’un monde gouverné par les peurs enfantines et la croyance dans des histoires à dormir debout. Glass est bien le grand film méta attendu, le commentaire sur la filmo de Shyamalan en même temps que la fermeture bouleversante d’une parenthèse cinématographique dont on n’a pas fini d’explorer les mystères et les significations souterraines.
Glass, en salles le 16 janvier
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