Le Festival de l’Alpe d’Huez s’ouvre en fanfare avec deux comédies sociales. Concernées, drôles, mais émouvantes aussi.
C’est peut-être parce qu’on a croisé un rond-point de ''gilets jaunes'' en quittant Grenoble ou parce que dans le train, ça causait pas mal des manifestations et de la réponse macronienne. Toujours est-il que depuis 24h, depuis le début de la compétition du festival de la comédie de l’Alpe d’Huez, on pense beaucoup à la lettre du président. Et à ces premiers mots :
''Dans une période d’interrogations et d’incertitudes comme celle que nous traversons, nous devons nous rappeler qui nous sommes.
La France n’est pas un pays comme les autres.
Le sens des injustices y est plus vif qu’ailleurs. L’exigence d’entraide et de solidarité plus forte''.
On ne va pas faire de politique, rassurez-vous. Mais on avait ces mots en tête dès la cérémonie d’ouverture parce qu’il y fut beaucoup question du rayonnement de la France à travers la comédie. Isabelle Giordano, patronne d’Unifrance, rappelait en effet le triomphe des récents films comiques (au moins cinq dans le top 10 des entrées 2018) et insistait surtout sur leur triomphe international.
On pensait aussi à Macron et aux récentes manifestations parce que les deux premiers films qu’on a pu voir dans le palais des festivals sont des comédies sociales qui dialoguent entre elles mais surtout avec l’air du temps. Il y est question de fracture sociale, d’engagements citoyens, de lutte contre l’injustice ou l’inégalité et d’un vivre ensemble qui se serait cassé en cours de route. Bref : de tout ce qui agite le pays ces temps-ci.
Festival du film et de la comédie de l’Alpe d’Huez : les temps forts de l’édition 2019La nouvelle comédie de Mohamed Hamidi, Jusqu’ici tout va bien, ouvrait le bal et la compèt’ mercredi soir. L’histoire est simple : pour échapper à une sanction pour fraude fiscale, le patron d’une agence de com’ parisienne doit déménager ses bureaux et ses employés dans le pire quartier de La Courneuve. Lorsqu’il débarque là-bas, c’est un cauchemar : voitures brûlées, racket à tous les étages… le film va mettre en scène la rencontre entre ce startupeur sûr de lui (Gilles Lellouche impeccable) et un jeune des banlieues vaguement maître chien qui va leur servir de caution et de fixeur (Malik Bentalha, parfait) ; le film peut commencer.
Sur le papier c’est cousu de fil blanc : le choc des contraires. Le sujet est aussi explosif que la cargaison de Montand dans Le Salaire de la peur et, récemment, Neuilly sa mère, sa mère avait montré comment ce genre d’idées pouvait vite sombrer dans une caricature et un cynisme opportun. Le film de Mohammed Hamidi est beaucoup plus fin et plus malin que ça. Plus drôle aussi et habité par un idéal. Mais il est surtout réussi parce qu’il y flotte un parfum de comédie italienne. Tous les personnages (les privilégiés comme les déclassés) se débattent frénétiquement dans des zones en ruine et leur maladresse touche au sublime. Hamidi raconte en quelques plans la débrouille quotidienne, la solidarité bourdonnante et l’énergie du collectif qui permet de survivre dans ces banlieues. On n’est jamais dans la satire, mais plutôt dans un humour tendre (qui sait être corrosif aussi) qui file vite, propulsé par les machines de guerre que sont ses acteurs.
Car ce qui compte ce n’est pas seulement le message délivré (on s’en sortira en s’entraidant et en mélangeant nos différences), ce sont les personnages, tous parfaitement typés et qui forment une belle bande de clowns comme au meilleur temps de la comédie ritale. Lellouche et Bentalha semblent organiser leur échec (professionnel ou personnel) comme d’autres se créent des lettres de noblesse : avec constance et application. Bentalha, Pierre Richard 2.0, est épatant en maître-chien flippé des canidés. A ses côtés on trouve le bras droit de l’agence, sévère mais juste, joué avec un sens du tempo magique par Sabrina Ouazani. On croise aussi une bande de gitans qui tente de professionnaliser son trafic de shit, une comptable qui vire zen et Krishna, un DA plus vrai que nature, des gamins qui traînent et qui font office de chœur antique. Et au milieu de tout cela : Lellouche impérial, à l’aise dans tous les registres, cabot quand il faut, émouvant quand c’est nécessaire, et réussissant à lier sa team. Le tout est emballé par des vannes qui fusent, des gags qui font mouche et n’ont pas peur du politiquement incorrect (un des personnages tente de faire diversion et d’attirer l’attention des flics en répétant de timides « nique la police » finit par gueuler un Allahu Akbar qui rameute les condés illico) et un esprit feel good imparable.
Quelques heures plus tard on découvrait Damien veut changer le monde et les échos avec Jusqu’ici tout va bien étaient nombreux. La bande-son par exemple. Barry White résonne sur le portable de Lellouche tandis que chez Gastambide on écoute Marvin Gaye. Du funk et de la soul et les deux films se retrouvent même sur l’utilisation de NTM et Manu Chao, symboles d’une France vénère, qui lutte et qui rêve, qui refuse les compromis avec le système ; incarnations d’un pays dont les moteurs sont l'amour, la discorde, l'entente et la jouissance. La vie, quoi. Damien veut changer le monde raconte celle d’un jeune pion (Gastambide, tout le temps juste), enfant de militants soixante-huitard, qui se met un jour en tête de sauver un de ses élèves d’une expulsion de territoire. Il décide de reconnaître l’enfant comme son fils afin de lui obtenir des papiers en règles. Tout va bien dans le meilleur des mondes jusqu’à ce que très vite, les demandes affluent et que Damien décide de jouer au héros.
Festival Alpe d’Huez 2019 - Franck Gastambide : "J'adorerais faire un nouveau Taxi"Xavier de Choudens signe une comédie tendre, sociale, qui évoque les combines de la France d’en bas, les conditions des migrants, mais avec un humour qui tue (à l’anglaise, mais aussi à l’italienne) et, comme Hamidi, en fuyant les pièges populistes. Le cœur du film est d’ailleurs nettement plus rose que noir : Damien tombe amoureux. C’est là que de Choudens brille, dans le registre de l’émotion sachant impeccablement gérer ses instants mélos (on a vu des spectateurs quitter la salle les yeux embués). Le portrait de la génération soixante-huitarde est senti, la vie en banlieue brossée en quelques plans. Mais le vrai sujet du film est ailleurs, c’est le délit de solidarité qui renvoie forcément au combat de Cédric Herrou (ce jeune agriculteur condamné pour avoir porté assistance à des migrants). La conscience morale doit-elle l’emporter sur l'ordre politique ? Doit-on s’opposer à des lois injustes même en sortant du cadre légal. Pas de panique : vous êtes toujours à l’Alpe d’Huez et Damien veut changer le monde multiplie les phrases de sniper et l’humour qui grince.
Et si le film est aussi réussi c’est surtout grâce à l’écriture habile du personnage principal (le vrai moteur de la comédie justement). Candide au pays des lois, gamin qui a refusé de grandir et héros en devenir, Damien bute constamment sur le réel. La rencontre avec la mère de l’enfant qui se moque de lui et prend tout au second degré alors que lui reste terre à terre montre bien son côté naïf, pur et filou (on a bien noté qu’il n’arrêtait pas de remercier les gens d’ailleurs). Gastambide avance sur ce registre comme un funambule et ses partenaires (de Gringe à Camille Lellouche qui incarne sa sœur avocate) sont tous d’une justesse impressionnante. Et la belle idée de casting, c’est d’avoir confié le rôle de la mère réfugiée à Melisa Sözen dont la beauté tragique (aperçue dans Winter Sleep) apporte une mélancolie à l’ensemble. Les moments où elle et Damien se retrouvent sont des moments d’émotion délicate où l’alliance des contraires fonctionne à merveille. Ils parlent, se regardent et se retrouvent en chantant. Des tubes de rap et, donc, de NTM.
Notamment cette chanson :
''Quelle chance, quelle chance
D'habiter la France
Dommage que tant de gens fassent preuve d'incompétence
Dans l'insouciance générale
Les fléaux s'installent – normal''
Tout est dit.
En quelques phrases, ce texte explosif vient de résumer Damien veut changer le monde et Jusqu’ici tout va bien. Les paroles du Monde de demain résonnent depuis plus de 20 ans, mais dans la France de 2019 elles deviennent glaciales… La comédie (et le cinéma) ne va pas révolutionner le monde, mais au premier jour du festival, elle vient d’épouser l’époque troublée, « pleine d’interrogations et d’incertitudes » comme dirait l’autre. Et d’apporter un peu de réconfort et de tendresse. Ça fait un bien fou.
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