Alors qu'Arte diffuse ce dimanche à 20h50 Drive de Nicolas Winding Refn, retour sur la critique de ce film incontournable parue en octobre 2011 dans Première.
Un homme solitaire, cascadeur pour le cinéma le jour et taxi pour braqueurs la nuit, tombe fou amoureux d'une voisine esseulée dont le mari taulard traîne une dette envers des mafieux. Lorsque la vie de celle qu'il aime est menacée, il met un coup de frein à sa carrière et des coups de boule aux méchants.
Nicolas Winding Refn a souvent signé des films trop beaux pour être vrais, un peu à la manière d'un adolescent cinéphile qui récite ses réalisateurs fétiches (Martin Scorsese pour la trilogie Pusher, David Lynch pour Inside Job, Kenneth Anger pour Bronson, Andrei Tarkovski pour Le Guerrier silencieux), avec le réalisme en horreur et un penchant prononcé pour la glaciation des cadres. Chez lui, film de Vikings rime avec élégie métaphysique et film de baston avec trip ésotérique. Un simple caprice virtuose de plus, et Winding Refn finissait dans la catégorie des faiseurs surdoués. Miracle : Drive, hâtivement présenté comme un pastiche des thrillers 80’s de William Friedkin et de Michael Mann, propulse enfin son auteur vers la stratosphère des grands. Comme Walter Hill dans Driver (1978), le cinéaste danois isole les figures stylistiques du western à l’intérieur d’un cadre urbain en faisant de son héros un cow-boy mélancolique et laconique, totalement melvillien. Qu’il saisisse un demi-sourire sur le visage de l’acteur ou le filme simplement de dos, au ralenti, et c’est un cataclysme. Gosling, magnétique, ravive le souvenir d’anciennes icônes (de Robert De Niro dans Taxi Driver à James Dean dans La Fureur de vivre en passant par Kurt Russell chez John Carpenter) et incarne comme personne le samouraï stoïque qui succombe au regard transi d’une femme en détresse (Carey Mulligan).
Ce regard-là, c’est aussi celui de Winding Refn, qui filme l’ange Gosling, à la fois exterminateur et protecteur, dans le même état de cristallisation amoureuse que son héroïne. Grâce à cette osmose, Drive, polar ultra burné, carbure au féminin. Au fond, le vernis sanguinolent de la série B n’est qu’un cache-sexe qui dissimule la romance entre deux amants maudits dans le tumulte d’un Los Angeles à la fois interlope et cotonneux, à la recherche d’un éden à des années-lumière de ce monde. La beauté de Drive réside finalement dans cette fusion rose bonbon et noir désir, dans ce mélange de délicatesse et d’ultraviolence qui pourrait célébrer les noces entre Sofia Coppola et Quentin Tarantino.
Un amour des extrêmes qui atteint son paroxysme dans une inoubliable séquence d'ascenseur où un baiser sublime le dispute à un défonçage de tronche façon Gaspar Noé. Glamour à mort.
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