Deux ans après The Card Counter, le cinéaste américain explore à nouveau la trajectoire d’une âme en peine. Il est présenté en avant-première dans le cadre du festival.
Un homme tourmenté par sa propre morale. Une morale sans cesse fragilisée, donc prête à vaciller. Avant-hier un aumônier (Sur le chemin de la rédemption), hier un joueur de poker (The Card Counter) aujourd’hui un horticulteur. L’auteur de Taxi Driver transpose son schéma narratif de film en film, tel un peintre répétant inlassablement son motif pour le transfigurer. Paul Schrader croit en l’humain, à sa beauté diabolique. L’idée est d’en éprouver les contours à l’aide d’une mise en scène de plus en plus épurée et stricte – sous haute influence bressonienne – qu’il contrebalance par la chaleur des sentiments.
Le Champs-Elysées Film Festival dévoile sa compétitionJoel Edgerton, néo-Mitchum
Ce Master Gardener, faussement programmatique, émeut surtout par son incarnation. L’australien Joel Edgerton, tout en fébrilité nerveuse, avance dans ce drame à la lueur d’une culpabilité sous-terraine. « Je voulais quelqu’un qui ait un peu de Robert Mitchum, c’est-à-dire avec qui vous ne voudriez pas vous battre dans un bar… », explique Paul Schrader.
La force physique qui émane de Narvel - c'est son nom - se doit d’être dissimulée comme la preuve d’une violence enfin contenue, refoulant, du moins en surface, un passé trouble. Les face-à-face (plutôt des entrevues de biais) avec son employeuse (Sigourney Weaver, stricte et perverse), contiennent ainsi leur part de non-dits. Chacun sait pertinemment ce que l’autre a à cacher. L’érotisme nait de cette apparente soumission.
Dévoilement successif
C’est évidemment cet équilibre précaire que le film va chercher à renverser. Une bascule enclenchée par l’arrivée de la petite nièce (Quintessa Swindell), aussi libre et sauvage que la tante est rigide. Schrader procède par dévoilements successifs, comme une fleur dont on retirerait un à un les pétales pour ne garder que le pistil, centre magnétique des émotions soudain exacerbées. Sauf que chez Schrader tout le monde se contient au maximum.
Le magnifique décalage entre la délicatesse qu’impliquent les gestes de l’horticulteur que le héros est devenu, et l’âpreté des mouvements d’autodéfense du délinquant qu’il a été, est, en cela, d’une poésie folle. Un lyrisme qu’un monologue en bout de course semble toutefois vouloir anéantir tout à fait (en gros : « s’occuper des fleurs implique de la droiture. Toutes fantaisies doivent être corrigées à coup de sécateur… ») Narvel sait, mieux que personne, que les mauvaises herbes passent leur temps à repousser.
Chez Schrader, la rédemption est consubstantielle d’une rigueur morale, d’une ascèse. Dans cette façon de placer des outlaws au centre d’un vrai mélo, Master Gardener a finalement quelque chose de très eastwoodien.
De Paul Schrader. Avec : Joel Edgerton, Sigourney Weaver, Quintessa Swindell... Durée : 1H50. Sortie le 5 juillet 2023
Commentaires