Collage jour 12 festival de Cannes
Le Pacte/ Diaphana

Un petit frère de Léonor Serraille a conclu en beauté la compétition cannoise, avant la cérémonie de clôture qui aura lieu ce samedi soir.

La performance du jour : Luis Zahera dans As bestas de Rodrigo Sorogoyen (Cannes Première)

Enfermé cette année dans la section fourre-tout qu'est Cannes Première (on prend le pari qu'il sera en compétition pour son prochain film ?), Rodrigo Sorogoyen (El ReinoMadre) opère un virage surprenant dans sa filmo avec As bestas, thriller rural semi-horrifique aux accents prononcés de western. L'histoire d'un couple de Français installé dans un village en rase campagne espagnole, qui se fait harceler violemment par ses voisins pour s'être opposé à la construction d'éoliennes. Un duel à mort entre bobos colonisateurs et culs-terreux mous du bulbe ? Oui, mais aussi bien plus que ça : Sorogoyen rend l'air irrespirable avec ce film tendu à l'extrême qui se questionne sur les mécaniques de la xénophobie. Et si, bien sûr, Denis Ménochet et Marina Foïs sont impériaux, on n'a d'yeux que pour lui : Luis Zahera (détenteur d'un Goya pour El Reino), trou noir insondable, aspirateur à joie de vivre, redneck à l'espagnole qui instille la terreur d'un simple regard. Le meilleur méchant de cette sélection, les doigts dans le nez. As bestas, bête de film.


 

L'interview du jour : Virginie Efira et Tahar Rahim pour Don Juan (Cannes Première)

Les deux comédiens se donnent pour la première fois la réplique dans le Don Juan de Serge Bozon (actuellement en salles) où le cinéaste revisite le célèbre mythe en inversant les rôles. Un duo irrésistible qui apporte de la chair et des larmes à son propos


 

Le film du jour : Un petit frère de Léonor Serraille (en compétition)

Cinq ans après Jeune femme, Léonor Serraille débarque dans la compétition cannoise avec la chronique d’une famille ivoirienne -  une mère célibataire venue avec ses deux enfants s’installer en banlieue parisienne – de 1989 à nos jours. Une femme tout sauf soumise qui, en dépit de tous les obstacles mis sur sa route, entend vivre sa vie comme elle l’entend. Un grand frère mu par une rage intérieure qui va devenir explosive quand il comprendra qu’il ne parviendra jamais à habiter le destin qu’il s’était imaginé dans sa tête. Et un petit frère qui va tenter de tirer les leçons de toutes ces péripéties souvent tragiques pour mener sa barque en dépit des tempêtes. Le tout encapsulé dans un geste scénaristique virtuose où la cinéaste place tour à tour à tour chacun de ces trois regards au centre de son récit chapitré, dans une fluidité jamais prise en défaut. Léonor Serraille ne surplombe jamais ses personnages, pas plus qu’elle ne les juge. Elle fuit comme la peste toute sur-dramatisation des situations. Elle n’a pas besoin de chercher à émouvoir puisque dès les premières minutes, le spectateur ressent ce que ses personnages ressentent. Grâce à la virtuosité de l’écriture donc, à l’image enveloppante d’Hélène Louvart, la directrice de la photo d’Alice Rohrwacher et à un casting dément, Stéphane Bak, Ahmed Sylla et Annabelle Lengronne, en tête. En incarnant cette mère courage, celle- ci signe l’une des compositions les plus emballantes de cette compétition cannoise 2022 qu’Un petit frère clôt donc en beauté.

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L'interview du jour : Saeed Roustaee, réalisateur de Leila et ses frères (en compétition)

Leila et ses frères dure près de trois heures, on a l’impression que comme dans votre précédent film, La Loi de Téhéran, vous recherchez un état d’épuisement du spectateur…

J’ai toujours une idée très précise du film que je veux faire. Avant même l’écriture, je visualise chaque plan, chaque séquence. Ensuite, sur le plateau, je travaille avec mes acteurs pour me rapprocher le plus possible de l’idée que j’avais en tête. On fait beaucoup de prises si nécessaire, je les laisse donner le meilleur, jusqu’à ce que j’atteigne l’effet recherché. Le temps n’est donc jamais un problème pour moi, ni dans le nombre de prises que je demande à mes acteurs pour atteindre la perfection, ni dans la durée finale du film. Il y a beaucoup de personnages dans Leila et ses frères, il faut que chacun ait le temps d’exister. La durée est également un outil essentiel quand on fait un cinéma qui tente de ressembler le plus possible à la vie.

A la rédaction de Première, certains comparent Leila et ses frères à Succession, d’autres à Affreux, sales et méchants. Laquelle de ces comparaisons vous parle le plus ?

Je ne connais pas Succession, désolé ! Mais j’adore le cinéma italien. Mes films ont souvent été décrits comme des héritiers du néoréalisme, je prends ça comme un compliment. Je pense que la comparaison vient du contexte social qui nourrit mon cinéma. Les gens sont de plus en plus pauvres en Iran, la classe moyenne meurt à petit feu à cause de l’inflation. Le simple fait de posséder une voiture est devenu un rêve inaccessible pour la majorité des Iraniens. La situation aujourd’hui dans mon pays est peut-être assez proche, au fond, de celle de l’Italie de l’après-guerre.

LEILA ET SES FRERES: AFFREUX, SALES ET MECHANTS A LA SAUCE IRANIENNE [CRITIQUE]
Saeed Roustaee au photocall de Leila et ses frères
Saeed Roustaee au photocall de Leila et ses frères - ABACA

La surprise du jour : Wisteria, de David Lynch

Le film mystère de David Lynch existait donc bel et bien ! Il avait alimenté début avril les rumeurs précédant l’annonce de la sélection cannoise, déclenchant une excitation cinéphile mondiale, avant que David Lynch ne démente son existence. Pourtant, certains continuaient d’y croire mordicus, encouragés par les sourires en coin de Thierry Frémaux. Et ils avaient raison ! Dans la nuit du vendredi 28 mai, vers 2 heures du matin, Première faisait partie de la quinzaine d’happy few invités à découvrir Wisteria, la dernière création filmique de David Lynch, objet non identifié d’une cinquantaine de minutes. Un pilote de série ? Un moyen-métrage censé accompagner une future expo des toiles du peintre-cinéaste ? Ce n’est pas très clair. Arriver jusqu’à cette projection secrète, organisée dans une salle de projection privée d’une villa perchée dans les hauteurs de Cannes, fut l’aboutissement d’un long jeu de piste, qui nous aura tenu en haleine pendant tout le festival. Mails mystérieux, conversations chuchotées avec des attachés de presse à la limite de la paranoïa, tuyaux refilés par des informateurs très bien renseignés, membres du premier cercle lynchien… Le précieux sésame (une invitation glissée dans une enveloppe de velours bleu) nous a finalement été donné aux alentours de minuit, dans un couloir secret du Palais des festivals, par un homme en smoking rouge se présentant sous le nom de « The Musician ». Après avoir été conduit à l’adresse indiquée, on s’est donc installé devant Wisteria… Une œuvre radicale, s’ouvrant sur des visions de paysages post-industriels ravagés par les flammes, maelstrom de distorsions sonores et visuelles porté par une bande-son assez terrifiante (mélange de doo-wop et de drone metal), bientôt interrompu par l’apparition d’une Laura Dern spectrale, hurlant jusqu’à l’épuisement durant de longues minutes, portant le costume de la Dorothy du Magicien d’Oz, mais déchiré, comme lacéré au couteau… « Ding-ding-ding… Mesdames et messieurs, votre attention s’il vous plaît… » C’est à ce moment précis qu’on a été réveillé par un message d’annonce de la SNCF. « A cause d’un problème de signalisation, nous vous informons que votre train est arrêté en pleine voie. Notre retard est actuellement estimé à trois heures. » Mince alors. On n’était pas du tout devant le nouveau David Lynch, en fait, mais dans le TGV nous ramenant à Paris, en plein rêve. Le train n’avançait plus, on avait du temps devant nous… Alors on s’est rendormi.