Cannes Jour 10
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Tous les matins, entre le film, l'interview et la star du jour, le point à chaud en direct du 74e festival de Cannes.

La star du jour : Léa Seydoux dans France de Bruno Dumont (en compétition)

Partout et nulle part. Ici et ailleurs. Le virus - que l’on ne veut même plus nommer - a empêché la star de ce cru 2021 de venir fouler en chair et en os les marches rouges. La « positive » Léa Seydoux vit repliée sur elle-même à Paris tandis que ses avatars paradent sur les grands écrans « croisette »: Simone (The French Dispatch), L’amante anglaise (Tromperie), Lizzy (L’Histoire de ma femme) et donc France dans... France de Bruno Dumont. Cette ubiquité frénétique, forcément maléfique et schizophrénique, c’est justement le sujet du nouveau film de l’auteur du P’tit Quinquin, où comment une journaliste-star d’une chaîne d’info en continu, finit par rejeter sa propre image au point de ne plus savoir où donner de sa tête. Léa Seydoux se lâche comme jamais, son personnage danse au milieu des bombes, tente de déstabiliser Macron... L’actrice fait aussi des clins d’œil au spectateur et à son réalisateur qui en redemande dans l’oreillette (Dumont dirige en effet ses interprètes en live avec ce procédé très télé !) Elle a raison : « rien n’est vrai, tout est permis ». Mais France pleure aussi, au point de voir son visage se déformer de tristesse. Une dépression s’installe sur le film. Seydoux donc, c’est rugueux aussi.

Le film du jour : Haut et fort de Nabil Ayouch (en compétition)

Le jeu à Cannes est de trouver le film qui va plaire au président du jury. Une fois cerné, le festivalier ne le lâche plus, et le place illico en tête de gondole du palmarès, avant de se ramasser inévitablement sur l’autel de la déduction foireuse (les président(e)s cinéastes récompensant généralement des œuvres à mille lieues de leur univers). Gageons donc que ce Haut et fort autour d’une bande de jeunes rappeurs issus d’un quartier populaire de Casa, va repartir bredouille tant il répond point par point à la grille de lecture du roi Spike : sujet politique, vitalité musicale, portrait d’une jeunesse sous représentée, saillies rageuses qui devraient froisser les oreilles des autorités marocaines... Outre ces louables intentions, l’autre paramètre à prendre en compte est la faiblesse criante du film. Car si Nabil Ayouch a su rassembler une matière documentaire généreuse et passionnante, elle ne résiste pas à la moulinette de la fiction. Résultat, le cinéaste survole tout, y compris le territoire de l’action (un bidonville à Casablanca) qu’il observe le temps d’un plan au drone. Dommage, car la personnalité et le charisme d’Anas, le protagoniste, laissait augurer le meilleur. Haut et faible donc.      

Le trip du jour : Memoria de Apichatpong Weerasethakul (en compétition)

Tilda Swinton s’extirpe de son lit. BOUM ! Un énorme bruit vient de la réveiller. Comment trouver le sommeil ? Pour l’héroïne de Memoria, dormir est un problème. Pas pour les spectateurs, qui plongent dès les premières minutes du film dans un curieux état d’hypnose, demi-sommeil cotonneux, encouragé par le roi de la narcose filmique Apichatpong Weerasethakul. Sans doute le seul cinéaste de la planète qui pousse ses spectateurs à piquer un petit roupillon – ici, en l’occurrence, à l’aide d’un sound design somptueux. Mais il prend aussi un malin plaisir à les réveiller, régulièrement, avec ce fracassant et mystérieux BOUM ! qui rythme le film, sorte de whodunit auditif qui cogne dans la tête de Swinton. Une énigme en forme d’équivalent sonore du monolithe de 2001. Vos paupières sont lourdes, oui, mais vos oreilles aux aguets. Insensiblement, par petites touches, Weerasethakul est pourtant en train d’organiser une sorte de transe collective. Dans les trente dernières minutes du film, au fur et à mesure que l’enquête de Swinton est en train de virer au trip psychanalytico-science-fictionnel, plus personne ne fait dodo, tous les spectateurs ont les yeux écarquillés. Et… BOUM ! Le film est fini. A la sortie de la salle, sur le trottoir devant le Palais des Festivals, chacun y va de son interprétation. On se frotte les yeux. Le film est fini, oui, mais le trip (interprétatif) ne fait que commencer.

L’autre trip du jour : Belle de Mamoru Hosoda (Cannes Première)

La semaine dernière, on s’excitait les pupilles cannoises devant un documentaire à la gloire de Satoshi Kon, réalisateur de Perfect Blue et Paprika disparu en 2010. Docu dans lequel figure le témoignage de plein de grands noms de l’animation japonaise, dont Mamoru Hosoda. Le réalisateur avait adapté avec La Traversée du temps un récit du même auteur (Yasutaka Tsutsui) que celui qui a donné naissance à Paprika. Dans un mouvement quasi konesque, Hosoda a débarqué sur la Croisette hier avec son nouveau film, Belle, rajouté au dernier moment dans la toute nouvelle sélection vide-poches Cannes Première - dont le nom, on le rappelle, n’a rien à voir avec notre humble rédaction, qui aurait carrément vu Belle en compétition officielle (le passionnant Où est Anne Frank ! d’Ari Folman est aussi relégué hors compétition) - : le nouveau Hosoda est une phénoménale relecture de La Belle et la Bête de Disney qui aurait été réécrit par Neal Stephenson. Une lycéenne chanteuse et hyper timide devient Belle, idol superstar d’un réseau social de réalité virtuelle, et elle va rencontrer le Dragon, majestueux monstre blessé et croquemitaine du réseau… Loin de se limiter à un cyber-conte de fées gentiment pop, Hosoda synthétise toutes ses obsessions et tous ses thèmes, de Summer Wars à Miraï, des Enfants loups au Garçon et la bête, et ajoute une généreuse dose de superhéroïsme à cette grande odyssée de SF utopiste et généreuse, terrassante d’émotion. Sans aucun doute l’un des trips les plus accomplis de ce Cannes 2021, et parmi les deux heures les mieux remplies du Festival. Sortie le 29 décembre dans notre beau pays.

Belle (2021)
Studio Chizu

Itw du jour : Leila Bekhti et Damien Bonnard (Les Intranquilles de Joachim Lafosse, en compétition)


 

La révélation du jour : Yassine Qnia, le réalisateur de De bas étage (Quinzaine des Réalisateurs)

Yassine Qnia suivait des études de géomètre topographe quand la vocation de réaliser lui est tombé dessus lors du festival du court métrage de Clermont-Ferrand 2010 où sa candidature spontanée pour faire partie du jury jeunes avait été acceptée. Onze ans et une poignée de courts plus tard, le voici à Cannes pour son premier long métrage, filmé dans la ville où il a grandi et qu’il connaît comme sa poche : Aubervilliers. La chronique d’une impasse annoncée, celle de son personnage principal, petit voyou trentenaire dont les cambriolages avec ses complices rapportent de moins en moins et qui tente maladroitement de reconquérir la mère de son fils, lasse de la situation. Le drame sentimental épouse ici le film noir dans un geste jamais tape à l’oeil, à l’image de la pudeur de son personnage central, campé avec grâce par Soufiane Guerrab (Patients) qui ne passe pas à côté de son premier grand rôle sur grand écran, dans un duo d’une cinégénie folle avec Souheila Yacoub (tout aussi épatante voilà deux jours dans Entre les vagues d’Anaïs Volpé, lui aussi présenté à la Quinzaine).

Le coup de chaud : Les Américains flippent à Cannes

Notre confrère de Vulture décrit son Cannes not so Covid friendly, avec diverses anecdotes sur les Français aux masques sous le nez dans les salles, les certificats de vaccins américains impossibles à faire valider en France, les soirées où les distanciations sociales sont toutes relatives… Bref, une petite boule d’angoisse mais écrite de façon très rigolote, où la journaliste aborde également le “gap”, ce trou d’un an pour le festival, dû à la pandémie, et dont Bong Joon-ho semble totalement se ficher. Un drôle de récit à lire pour se rendre compte de la situation sanitaire locale.

La citation du jour : Léa Seydoux au Monde

“Je ne suis pas un sex-symbol. Bon, oui, je suis assez bonasse mais quand même je suis avant tout une actrice”