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De Rihanna à Springsteen, la réalisatrice nous explique comment elle a composé sa playlist. 

Pendant les 2h40 hypnotiques et sensorielles de son road-movie American Honey, Andrea Arnold fait défiler les kilomètres et les chansons au fil d’une énorme playlist orgasmique. On lui a demandé de commenter cinq morceaux clés de son film. 

Rihanna feat. Calvin Harris, "We found love" 

 

"Je me suis beaucoup baladé en Amérique pour écrire le film, je roulais sans but en écoutant la radio. On entendait souvent "We found love" à l’époque, c’était vraiment dans l’air, et j’avais envie d’une chanson d’aujourd’hui. Parce que je voulais qu’American Honey soit un film d’aujourd’hui. Certains réalisateurs craignent d’utiliser des morceaux trop contemporains de peur de "dater" leurs films, mais moi je m’en fiche. J’aime l’idée d’être dans le présent. On a tourné la scène de la rencontre entre Star et Jake dans le supermarché le premier jour de tournage. Shia (LaBeouf) devait sauter sur le comptoir et se mettre à danser, ça le gênait un peu de faire ça d’entrée de jeu, alors qu’il connaissait à peine le reste du groupe et cherchait à s’intégrer. Mais il a assuré. Un truc que je n’ai pas mesuré, c’est à quel point les paroles allaient être surinterprétées. Vous savez : "We found love in a hopeless place…" Il n’y avait pas de message caché, je ne voulais pas du tout dire que les supermarchés K-Mart sont des lieux sans espoir !"

E-40, "Choices (Yup)" 

 

"Hier soir, dans notre chambre d’hôtel, Sasha et moi avons fait une vidéo où on danse sur notre lit pour l’envoyer à notre copine Riley Keough et on a choisi ce morceau… C’est notre hymne, tout le monde a envie de danser dessus en sortant du film. J’adore le rap, la trap, la dance music, j’en utilise plein dans le film, mais je ne connaissais pas ce morceau, ce sont les acteurs qui me l’ont fait découvrir. On a dansé dessus sur le tapis rouge de Cannes. Comme j’étais un peu nerveuse et que j’aime bien bouger pour me détendre, j’ai réclamé ça pour notre montée des marches. Toute l’équipe s’est mise à danser, du coup ils l’ont passé en boucle ! J’aime l’énergie du morceau et puis… You got choices : c’est une bonne devise, non ? "

Raury, "God’s Whisper"

 

"J’adore ce morceau. Je l’ai découvert sur Internet par hasard il y a longtemps, je voulais absolument l’utiliser dans le film mais je ne savais pas comment. Il y a un feeling tribal hallucinant dedans. J’adore les paroles aussi : "I won’t live a life on my knees". Comme je réécrivais le film au fur et à mesure du tournage, j’ai fini par trouver la solution pour l’utiliser. On a improvisé cette dernière scène autour du feu de camp. J’ai donné le morceau à apprendre aux acteurs, au début ils n’étaient pas spécialement fans, ce n’est pas le genre de musique qu’ils écoutent spontanément. Mais ils ont appris les paroles, se sont mis à chanter et au bout d’un moment ils ne pouvaient plus s’arrêter. On tournait dans la réserve indienne de Pine Ridge, et on sent vraiment vibrer l’Amérique primitive à l’arrière-plan. Je voulais mixer le passé et le présent, l’Amérique mythologique et la réalité contemporaine, et ce morceau reflète bien ça."

Bruce Springsteen, "Dream Baby Dream"

 

 

"J’adore la version originale de Suicide. Le jour où j’ai entendu cette reprise par Springsteen, j’ai pleuré. Un de mes moments préférés dans le film, c’est quand le chauffeur du camion dit : "The Boss. I love the Boss ! " Puis lui et Sasha se mettent à chanter… C’est très dur de filmer des acteurs en train de chanter sur un morceau qui passe en direct, puis de monter la scène correctement. Mais c’était tellement beau. Je n’arrivais pas à couper. Sur les marches de Cannes, avant qu’on danse sur "Choices", ils avaient mis cette chanson. C’est quand même un peu tristounet, je ne sais pas pourquoi ils avaient choisi ça. Ah bon ? Thierry Frémaux est fan de Bruce Springsteen ?!? "

Lady Antebellum, "American Honey"  

 

"Une autre chanson que j’écoutais en boucle pendant mon road-trip. Le scénario du film n’était pas fini, mais les producteurs réclamaient un titre, ça les rassurait, alors j’ai dit : "American Honey". La chanson a ce feeling traditionnel, ça parle d’une fille qui grandit dans une ferme. Dans le film, je demande à Veronica (Ezell) de la chanter. Veronica est couverte de tatouages, elle est le visage de l’Amérique moderne. Je voulais dire qu’elle aussi est une "american honey". Mais le jour du tournage, Veronica avait perdu sa voix, alors tous les autres se sont mis à chanter pour l’aider. Je ne savais même pas qu’ils connaissaient les paroles. C’était notre dernier jour, on venait de passer sept semaines sur la route ensemble. Forcément, j’ai pleuré."