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Quelques semaines après la sortie de Good night and good luck, voici la nouvelle production Soderbergh/Clooney. Reprenant la narration éclatée qui a fait le succès de Traffic, ils s'attaquent à la corruption régnant entre les Etats-Unis et les pays producteurs de pétrole. Toujours avec bonne volonté, peut-être trop.
Steven Soderbergh et George Clooney, producteurs de Syriana via Section Eight, sont des nostalgiques. Leur association est fondée sur une affinité cinéphilique d'ordre générationnelle, avec pour période clé les fameuses seventies, années de contre culture, de crise économique, de désillusion idéologique, d'avènement cinématographique du réel (avec le film super 8 de Zapruder comme trauma, montrant l'assassinat de Kennedy) et surtout d'un cinéma en position critique. Comme ressource, cette période permet au duo de faire re-rentrer explicitement à Hollywood l'autocritique américaine. Ils produisent ainsi un cinéma plus civique que réellement politique, via des films (Traffic, Good night and good luck) ou une série télé (K-Street, signée Soderbergh) dont l'ambition n'est pas d'être au service d'une idéologie mais de pointer les mensonges du gouvernement et jouer avec la notion de vérité. D'où le caractère un peu inoffensif, ouvertement démocratique de leurs entreprises et la faiblesse de ce Syriana, premier long métrage de Stephen Gaghan (scénariste de Traffic), inspiré du livre de Robert Baer La Chute de la CIA : les Mémoires d'un guerrier de l'ombre sur les fronts de l'islamisme. En ne pouvant dépasser son procédé discursif balisé, l'oeuvre s'enferme dans une vision générique du monde qu'il voulait éviter.Chez Section Eight, on fait un cinéma politique cool. Proche de la gauche du parti démocrate, on y entretient l'illusion snob d'une conscience civique bien élevée dont Syriana reflète le symbole. Le film de Gaghan, ambitieux, complexe, montre comment les liens économiques entre les producteurs de pétrole arabes et les Etats-Unis sont tout sauf libéraux. Comment tout n'est que tractation souterraine, pots de vin, interdépendance, affairisme, jeux de pouvoir, d'argent, de succession et de famille. Il démonte minutieusement le messianisme démocratique et médiatique américain, nous entraîne sur une toile mondiale où, d'un raccord à l'autre, on passe de Genève à Beyrouth, de Dubaï à Washington, en se perdant dans un monde flottant aux conséquences bien réelles. Agent de la CIA, conseiller économique, fils d'émir utopiste, avocat, PDG de consortium pétrolier américain ou chinois, jeune Pakistanais à la dérive, ce sont les hommes qui créent ou subissent les effets de ce darwinisme économique, qui sont manipulés ou manipulent. Maîtres ou esclaves, chacun a ses raisons, air connu mais souvent vrai.Gaghan flirte avec l'effet papillon, le film choral, privilégiant faits, causes et effets, d'un bout à l'autre du globe. Le problème est que le film ne montre que des seconds rôles. On ne parvient pas à s'y attacher, d'autant qu'il les enferme dans un dispositif journalistique. Syriana dépasse rarement le stade informatif du point de vue du récit, il ne dit et montre rien de nouveau, et reste distant ou échoue souvent dans ses rares tentatives émotionnelles. Le film est soumis à la raison. Il est pragmatique, matérialiste, la fiction y est secondaire. Il ne faut attendre de lui qu'une mise à distance, un coup d'oeil panoptique mais finalement partiel.Sans suspens et peu d'effets, Syriana veut donner à chaque scène le sens clé et logique d'une vision géo-politique et économique. Sa force tient à l'immersion climatique en chaque lieu : désert, villa saoudienne, ruelles de Beyrouth, french Riviera, banques genevoises, cantine universitaire de Princeton créent des visions et des ambiances saisissantes de réalisme photographique. Polyglotte, Syriana change aussi sans cesse de langue, accentuant ainsi sa volonté de justesse et son aspect documentaire. Mais ce sont justement les limites de Syriana. Sa conscience morale du vrai en fait un objet de discours peut-être juste, mais cinématographiquement (et politiquement) un peu limité. Il reste surtout un décryptage factuel, la mise en image d'un article où les motivations profondes et humaines, les pourquoi du puzzle lui échappent trop souvent.* Ce titre est repris du discours de George W. Bush sur l'état de l'Union 2006. Le président américain prouvait par ces mots, encore une fois, son sens de l'humour... involontaireSyriana
Un film de Stephen Gaghan
Etats-Unis, 2h08
Avec : George Clooney, Matt Damon, Kayvan Novak, Christopher Plummer, Amr Waked, Mazhar Munir.
Sortie en salles - France: 15 février 2006[Illustrations : © Warner Bros. France]
Sur Fluctuat:
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