Toutes les critiques de A Tout De Suite

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Passion cinéma. Tourné en noir et blanc et en DV, "A Tout de Suite", le dernier film de Benoît Jacquot au grain épais, nous offre une belle histoire banale. Celle d'une jeune "voyoute" amoureuse d'un voyou. Sortie aujourd'hui après une projection un rien confidentielle à Cannes.
    Elle a 19 ans et nous sommes en 1975. Comme nombre de jeunes filles, il lui arrive de sécher la première heure de cours parce qu'elle est allée en boîte de nuit la veille. Jeune fille issue de la bonne bourgeoisie elle cache sa meilleure amie dans sa chambre, simplement pour être en sa compagnie. Malgré les carcans de la fortune familiale, elle est farouchement libre mais ne sait trop que faire de l'amour filial. Elle profite de chaque instant comme si c'était le dernier, ne s'épargne aucune colère, aucun fou rire sans pour autant assumer une envie d'envoyer paître père et mère. Liberté, elle écrit son nom, presque en fraude, comme tagué sur les murs.Ce personnage féminin est interprété par l'incandescente Isild Le Besco. Terrienne et lumineuse, filmée entre ces deux extrêmes, elle est magnifique parce qu'elle est confondante de justesse, au coeur de ce personnage absolu qui n'autorise aucune retenue. « Je donne à voir ce que la personne que je filme me donne à voir déclarait Benoît Jacquot au printemps dernier. Et j'essaie de représenter cela avec ce sentiment de beauté qui est le mien devant ce don. Il y a une sorte de nécessité, de vérité qui n'est pas du tout de l'ordre de la complaisance ou du voyeurisme. (…) Dans ces scènes où la jeune fille fait l'amour, où elle danse, ce qui se filme à ce moment-là sur un visage, ce sont justement des instants que l'on ne peut filmer qu'en dehors de tout voyeurisme, de toute complaisance. C'est le don de soi que vous fait une actrice, qui après tout n'a aucune raison de faire cela, sinon la confiance qu'elle éprouve dans celui qui la filme.» Ainsi le personnage qu'elle interprète, sans nom puisqu'elle pourrait être une représentation symbolique de toutes les jeunes filles, se perd dans la recherche de l'amour. Riche et puissante de toutes les implacables certitudes d'une passion, elle court après un point d'ancrage qui pourrait être le giron de son amant.Le réalisateur la suit au plus près, comme s'il tentait toujours de toucher son âme grâce à son oeil-caméra, une DV qui lui offre une incroyable liberté de mouvement. « Dans A Tout de Suite, j'ai fait exactement ce que je voulais faire, image par image, 24e de seconde par 24e de seconde, dans une sorte de liberté artistique plus difficile à trouver autrement. » confiait-il. La facilité avec laquelle la caméra bouge autour des acteurs, le sentiment de simplicité qu'apporte le noir et blanc, allié au grain un peu épais de l'image, tout cela nous met en prise directe avec l'essence de ces personnages. Comme si ce dispositif et la façon dont il était utilisé nous mettaient au coeur de leurs êtres. Dans cette exploration des corps et des visages, dans cette dissociation des particules de l'image, le spectateur tente de percer le mystère et de comprendre comment tout cela fonctionne, pourquoi ces jeunes gens s'attirent. Tel un papillon de nuit qui s'approche trop près de la lumière, il n'y arrivera jamais tout à fait. Comme le personnage principal. Ancienne étudiante, elle passe son temps à crayonner des portraits de son amant endormi. Le dessin est incertain, ébauché certes, c'est pourtant une trace, une preuve d'une existence. De même nous n'arriverons pas ici à percer ni le mystère de l'amour ni celui de la fougueuse jeunesse, pourtant nous avons décidément la preuve qu'ils existent.Elle, rencontre un beau jeune homme, incarné par Ouassini Embarek. Elle l'aime dès le premier regard et le reste elle s'en fout. Il pourrait être boucher ou écrivain, elle le suivrait au bout du monde. Quand elle apprend qu'il est gangster et vient de braquer une banque en tuant un otage, elle fait ses valises pour le suivre dans sa cavale. Elle, à qui on n'avait jamais prédit que cela arriverait, se retrouve du côté des voyous. Pourtant même les méchants n'avaient aucune raison particulière de le devenir. Leurs parents aimants et attentionnés, étaient attentifs à l'éducation de leurs enfants. Comme notre belle petite fille riche, qui aurait bien aimé en goûter de cet amour là, ils avaient tout pour être heureux… C'est sans doute pour cela qu'ils se font brigands et qu'elle se fait « voyoute » comme elle dit si bien. Si son amour est un braqueur de banque, veut le fric de la liberté, elle, vole l'amour absolu et irrationnel qu'elle n'a jamais connu dans les beaux quartiers.Cette histoire est banale, c'est pourquoi on en connaît la fin. Comme dans Bonnie and Clyde, les brigands finissent par payer pour leurs méfaits. Entre temps, il y a la belle vie, les grandes vacances tous les jours : « je ne sais pas si c'était la vraie vie mais c'était la belle vie » nous confie en voix-off le personnage principal. Attrapée par l'amour elle s'y accroche, advienne que pourra, il semble qu'elle le suivra jusqu'à la mort. D'ailleurs la camarade viendra, c'est sûr, le Fatum suit son l'implacable cours. Les personnages ont beau lutter et s'accrocher à l'insouciance, ils n'échapperont pas à leur destin.[Nota : Cet article est une reprise augmentée et mise à jour d'une première version parue en mai 2004, à l'issue de la projection cannoise ndlr.]A tout de suite
    Un film de Benoît Jacquot
    Avec : Isild Le Besco, Ouassini Embarek, Nicolas Duvauchelle, Laurence Cordier.
    Projection à Cannes le 14 mai 2004
    Sortie en salles le 08 décembre 2004[Illustrations : Pyramide Distribution]
    - Dossier Cannes : compte-rendu de l'ouverture et des seconde et troisième journées, chroniques des films projetés (La Mauvaise éducation, 10 on Ten, Troie, Nobody knows, La vie est un miracle, Kill Bill volume 2)
    - Le site officiel du Festival de Cannes