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Piranha 3D a beau être un film fun et bien gore, c'est aussi un film passionnant sur l'American Way of Life vu par un européen. La preuve. On ne s’y attendait pas forcément, et Alexandre Aja encore moins, mais histoire de remettre de l’ordre dans ce joyeux fatras qu’est Piranha 3D, il aura fallu réviser (une dernière fois, avant de devenir grand ?) notre petit Daney illustré. En 1977, in Les Cahiers du cinéma, le grand Serge pond un texte faramineux, déterminant, sur Les Dents De La Mer, et l’idéologie de ce qu’il appelle le “film catastrophe US” (dénomination ici un peu fourre tout comprenant aussi bien le film de Steven Spielberg que La tour Infernale ou les slashers de l’époque). Prophétisant la mort imminente du Nouvel Hollywood, où sexe et violence étaient férocement liés, Daney notait que dans Les dents de la mer “s’il y a violence il n’y aura pas de pornographie, puisque c’est précisément la menace pornographique que la violence vient conjurer ici” et d’ajouter que dans “ce" cinéma, la communauté ne se ressoude pas à coup de sexe, “qui n’en soude que deux”, mais à coups de violence et “de sublimation paranoïaque, qui en apeure beaucoup”. 33 ans plus tard, c’est de ce constat là dont partira Alexandre Aja, pour broder son fascinant Piranha 3D, à la fois hommage ultime, presque trop déférant, aux Dents De La Mer (caméo de Richard Dreyfuss et travelling compensé à l’appui), et farce anar’ dérangeante, prenant bien soin de ne jamais laisser le spectateur sur le bord de la route.Tout paraissait simple, limpide. Il s’agissait donc de pousser tous les compteurs dans le rouge - histoire de voir si l’essence purement réactionnaire de ce cinéma n’était finalement qu’une question de dosage -, d’empiler dans un premier temps les motifs les plus triviaux de la jeunesse ricaine d’aujourd’hui - en cela la période choisie, celle de Spring break, tient évidemment du pain béni - et de désherber ensuite le tout à grand coup de gerbes de sang salvatrices. Ce qu’on avait pas prévu en revanche c’est qu’en fin de compte Piranha 3D serait bien une satire, mais comme pouvait l’être le Scream du parrain Wes Craven. Non pas une satire du genre, mais une satire de ceux qui le peuplent. Au début pourtant, entre les apparitions de Dreyfuss, de Christopher Lloyd, les personnages volontairement archétypaux et cette manière d’écharper ironiquement les poncifs les plus gavants du genre, on s’imaginait bien nager dans les eaux d’un post-cinéma théorique et abstrait, avec bien sûr en ligne de mire le très méta-Gremlins 2 de Joe Dante. Ce programme se court-circuite pourtant à mesure que le film subit une montée de rage aussi fiévreuse que malaisante. 45 minutes après son top départ, en même temps que jaillit une énorme gerbe de vomi (en 3D s’il vous plait) de la bouche de son héroïne, la pochade rigolote et inconséquente laisse une place à une incroyable attaque en règle de l’american way of life. Plus du tout enivré par ses postures post-modernes de petit malin, Aja chope une gueule de bois monstre, et se met à dégueuler lui aussi sur l’insouciance d’une jeunesse ricaine qui semblait jusqu’ici le fasciner, du moins l’amuser, en lui balancant aux trousses une armée de poisson carnivores bien vénères.Dès lors, le vernis parodique se craquelle bruyamment et le film devient d’une brutalité insensée, laissant place à un Aja plus familier, celui de Haute Tension et de La Colline, carburant plus au nihilisme qui fait mal qu’à l’ironie cinglante. Le film, jusque là parfaitement agencé, prend alors des allures de work in progress, brouillon, débraillé, tirant dans tous les sens, mais mu par une énergie noire véritablement étourdissante. Reste à savoir si le caractère transgressif de l’entreprise ne serait justement pas invalidé par cette volonté d’en faire baver à toute une jeunesse dépravée ? La question reste en suspens et c’est un peu là où le bât blesse, dans cette idée que malgré ses efforts Aja ne parvient jamais, malgré tous ses efforts, à débarrasser sa relecture des Dents de la mer de ses oripeaux réacs, donnant au texte de Daney une acuité implacable, 33 ans plus tard.Reste un cheval de Troie fascinant, une série B gorgée de soleil, de bimbos en bikinis et de pop culture ricaine dotée pourtant d’une sensibilité on ne peut plus européenne. Mine de rien avec son sens infaillible du tempo, son flair visuel et son aisance technique, Aja est en train de se bâtir là-bas, en plein coeur d’Hollywood, une filmo qui est loin d’avoir abdiqué et n’a jamais vendu son âme au plus offrant. Malgré les remakes, malgré les Weinstein, le cinéma d’Aja tient debout, droit dans ses bottes, et ne ressemble qu’à lui même, mettant à mal le cliché du réalisateur immigré broyé menu par le système US. A ce niveau d’intégrité et de subversion, on peut même facilement parler de miracle.Par François Grelet.