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Que reste-t-il à écrire sur Dune ? Qu'est-ce que vous lirez ici qui n'a pas déjà été écrit ailleurs ? Sur l'oeuvre originale, comme sur ses adaptations, il semble que tout ou presque a déjà été dit. Il n’y aurait donc plus rien à écrire, ni à faire et ce sentiment d'impuissance rejoint le sentiment de découragement du spectateur face au blockbuster américain, domaine dévasté sur lequel règne désormais Marvel et où il ne semble plus rien y avoir à faire non plus. Tout serait donc terminé ? Et c'est là que le Dune de Villeneuve apparaît.
"Les rêves sont les messages des profondeurs", grogne violemment la voix-off d'outre-espace qui lance le film avant même que le moindre logo apparaisse. Ce haiku situe d’emblée le film dans une tonalité de trip onirique, mais les choses se rétablissent très vite. Des rêves, des visions, des plans d’une noirceur et d’une violence folle. Oui. Radicale. Encore plus. Tout est en place pour une folie arty. Pourtant, pour réussir son pari et ramener les spectateurs, Villeneuve sait qu’il a besoin de l’espace et du temps. En choisissant de couper le livre en deux films, en sous-titrant le logo de son film par un "Part One" (la coupure est à ce titre terriblement frustrante), le cinéaste a fait le choix de la franchise. Un choix industriel et esthétique qui devrait donc lui donner la liberté nécessaire pour livrer sa version ultimate du monument SF. Le Dune de Villeneuve évoque constamment la version de Lynch mais motorisée pour 2020. Plus belle, plus racée, moins bariolée. Il reste peu de place pour le chaos ou la folie, certes, mais cette nouvelle adaptation ne prétend jamais effacer le souvenir du Lynch. Du coup, si le Dune de 1984 reste comme la folie de son producteur Dino De Laurentiis, celui de Villeneuve s’imposera comme un témoignage du sens de l'image brutale du réalisateur de Sicario et de Premier contact. A l'image de son casting d'Olympiens du box-office (tout le monde, sauf Timothée Chalamet, est passé par Marvel, Disney, Star Wars, Mission : Impossible ou DC), le monument est immédiat, terrassant, sérieux, à tel point qu'il faudra sans doute plus d'une vision pour l'encaisser. Pas de paysage plaqué sur fond vert mais l'horizon du vrai (le désert de Jordanie), et des visions parfois hallucinantes - un dialogue entre un père et son fils au milieu des tombes, les murmures des indigènes persuadés de voir dans les colons l'incarnation de leurs légendes, des guerriers d'élite bénis par le sang d'une hécatombe... Du cinéma définitivement brutaliste, un brin figé dans le cadre comme un bloc de béton armé à l'état sauvage, comme un message venu des profondeurs.
"Nos plans s'étendent sur des siècles", dit la Révérende-Mère du Bene Gesserit, résumant l'intrigue générale de Dune. Les plans en question ? La création d'un Elu qui doit dominer la galaxie. Cette critique de la notion d’homme providentiel est brillamment illustrée dans le film, même si elle ne prendra vraiment sa dimension que dans la suite (Le Messie de Dune, le deuxième roman beaucoup plus bref du cycle, est l'épilogue tragique du destin de Paul et pourrait donner un film fabuleux). L’idée d’un Messie, envisagé comme une manipulation politique à base de propagande religieuse et d'eugénisme malsain, constitue aussi, en creux, la mise en place de Dune en tant que franchise de cinéma (et de télé, puisque la série prequel Dune : The Sisterhood conçue en même temps que le film est pour bientôt). Au fond, grâce à Villeneuve, Dune quitte l'univers des fantasmes pour rentrer dans le monde de la franchise. Dune : Part One est un manifeste, un pilote de franchise qui affirme que oui, Dune est aussi gros, aussi puissant sur grand écran que Star Wars. En attendant Dune : Part Two... En attendant Le Messie de Dune et ses suites... Il ne reste peut-être plus rien à écrire sur Dune, mais il reste encore beaucoup à voir.