Rayonnantes dans Mommy, Anne Dorval et Suzanne Clément étaient déjà les héroïnes du premier film de Xavier Dolan, diffusé ce soir sur France 4.
Peu de cinéastes peuvent se targuer d'une trajectoire aussi stratosphérique que Xavier Dolan, qui en cinq ans et cinq films, s'est imposé comme l'un des auteurs les plus influents de sa génération, consacré par le succès de Mommy et son prix du Jury cannois en 2014.
Cinq ans plutôt, le jeune Québécois se révélait aux yeux de la cinéphilie mondiale avec J'ai tué ma mère, son premier long-métrage, réalisé alors qu'il était âgé d'à peine vingt ans.
Film aux accents autobiographiques marqués adapté de la nouvelle Le matricide que Dolan avait lui-même écrit trois ans plus tôt, J'ai tué ma mère raconte la relation toxique qui se tresse entre un jeune adolescent homosexuel qui fait l'expérience du passage à l'âge adulte et sa mère qui l'a élevé seule et cherche à reprendre contact avec lui.
Conçu de A à Z par Dolan, qui en est à la fois le réalisateur, scénariste et acteur principal, J'ai tué ma mère révèle d'emblée un cinéaste à fleur de peau, déjà affirmé et sûr de son talent, dont la maîtrise impressionna le comité de sélection du Festival de Cannes qui offrit un coup de projecteur au film grâce à la Quinzaine des Réalisateurs. Souvent comparé pour sa sensibilité aux Quatre cents coups (Dolan confiera cependant n'avoir vu le film de François Truffaut qu'après la sortie de son film), J'ai tué ma mère a non seulement lancé la carrière d'un surdoué de la caméra, mais également mis en lumière deux magnifiques actrices qui allaient devenir les comédiennes fétiches du jeune et brillant cinéaste.
Anne Dorval, la figure maternelle
Cinq ans avant Mommy, Xavier Dolan faisait déjà appel à Anne Dorval pour jouer les "mommy" conflictuelles de cinéma. Particulièrement active dans le monde du doublage et à la télévision (les Français avaient notamment déjà pu la découvrir dans la parodie de soap opera Le cœur a ses raisons), l'actrice populaire devenait en un film l'égérie de cinéma de Xavier Dolan, qui la conduira à jouer de nouveau le rôle d'une mère dans Les amours imaginaires (celle de Nicolas, incarné par Niels Schneider) puis dans Mommy, en plus d'un passage plus discret dans Laurence Anyways.
Si le coup de foudre artistique fut réel, la collaboration entre Dolan et Dorval n'a pourtant pas été aussi naturelle qu'on peut le croire. Dans un portrait qui lui fut consacré dans Le Monde en 2014, cette dernière se souvient de ses réticences au début de l'aventure J'ai tué ma mère : "C’était mal foutu... Mais ce gamin de 15 ans m’a impressionnée : intelligent, vif, et puis ce courage immense qu’il faut pour venir ainsi me voir". Il faudra au final quelques mois et quelques réécritures pour convaincre au final l'actrice de s'engager sur le projet. "J’en suis tombée de ma chaise – c’est comme ça qu’on dit aussi chez vous autres ? On s'est revus et on ne s'est plus quittés".
Devant la caméra de Xavier Dolan, Anne Dorval se dévoile comme rarement au cœur de séquences parfois d'une grande intensité psychologique et d'engueulades mémorables où les coups bas et les piques assassines pleuvent. Une partition délicate conçue sur mesure par Dolan, qui souhaitait à l'époque concevoir un rôle capable d'exploiter les différents talents de son actrice. "Je crois que je ne veux travailler qu’avec des gens que j’admire profondément, et par qui j’ai envie d’être aimé", déclarait ce dernier au moment de la sortie du film. "Anne est une actrice très polyvalente. Son jeu est pluriel, son instinct est absolu, et me semble même relever d’un sixième sens, par moments. À mon sens, Anne est une tragédienne, une humoriste, une comédienne burlesque".
Sa performance à l'écran valut à Anne Dorval le Jutra (l'équivalent québécois des César) de la meilleure actrice en 2009 et lui permit de trouver son Pygmalion dans la figure du jeune Dolan. Toujours confrontée à des personnages extrêmes, à la fois repère unique et figure à exorciser des jeunes héros de Dolan, elle a su s'affirmer au milieu du chaos émotionnel parfois difficile des films du réalisateur. "Il a l'intelligence de ne pas s'enfermer dans une pensée unique et de s'entourer de collaborateurs doués qu'il écoute", confiait-elle au Figaro en 2014. "Avec lui, on peut s'abandonner, se dépasser. Depuis près de dix ans maintenant, Xavier et moi avons dépassé les rapports professionnels, nous sommes devenus amis".
Suzanne Clément, la protectrice
Dans J'ai tué ma mère, Suzanne Clément incarne Julie Cloutier, une professeure d'éducation artistique qui prend sous son aile le jeune Hubert, désorienté et dans lequel elle semble se retrouver. Un rôle sur le fond assez proche de celui qui est le sien dans Mommy, où elle incarne à nouveau la troisième pointe du trio venue de l'extérieur (une enseignante dans les deux cas d'ailleurs), et qui nous avec le jeune homme une relation particulière, mélange de respect, de compassion, d'amitié et d'amour à la fois platonique et se substituant à l'amour maternel.
Si Suzanne Clément reste associée à Laurence Anyways, où elle impressionne en incarnant la mère du personnage incarné par Melvil Poupaud, l'actrice est également une fidèle de la première heure de Dolan, dont elle a tout de suite cerné le talent. "Il m’a mis sur le cul", se souvient-elle dans une interview au Nouvel Obs en évoquant sa première rencontre avec Dolan, qui remonte à une fête à l'époque où le cinéaste avait à peine 17 ans. "C’était parfait, remarquablement dialogué avec cette relation d’amour-haine qui me rappelait Tatie Danielle". J'ai tué ma mère marqua également le début d'une collaboration suivie sur trois des cinq longs-métrages réalisés jusqu'ici par Dolan.
Comme Anne Dorval, Suzanne Clément fut révélée dans la Belle Province par la télévision, principalement par la série populaire Les Hauts et les Bas de Sophie Paquin. Et comme sa partenaire, l'actrice a su se retrouver dans les tournages énergiques et chaotiques des films de Dolan. En 2012, elle déclarait ainsi à Paris Match : "C’est un artiste avec qui tout est permis. Parfois j’avais besoin de me concentrer et j’avais envie de le tuer (rires), mais c’était très riche comme expérience. J’ai envie de le voir dans trente ans, pour assister à son évolution. Il m’étonne sans cesse, cela me réjouit d’être dans sa vie".
S'il est indéniable que les films de Xavier Dolan ont servi de détonateur dans la carrière de ses deux muses, ces dernières ont été également indispensables à l'éclosion et à l'affirmation du réalisateur. Pour résumer la relation forte qui s'est tissé au fil des quatre films dans lesquelles elles apparaissent devant sa caméra, Xavier Dolan avait trouvé les mots suivants pour Télérama : "Je les ai d'abord aimées de loin, dans des feuilletons, quand j'étais ado. A leur manière, elles sont des stars au Québec, où la célébrité se façonne plutôt par la télé. [...] On partage beaucoup de choses, et c'est pourquoi, sur mes tournages, elles osent tout". Si aucune des deux ne sera au générique des deux prochains films de Dolan (Juste la fin du monde et The Death and Life of John F. Donovan), elles resteront cependant pour longtemps associées au statut qui est aujourd'hui le sien.
Marion Cotillard parle de Xavier Dolan : "J'ai vécu une aventure vraiment hors du commun"
L'histoire de J'ai tué ma mère : Hubert Minel n'aime pas sa mère. Du haut de ses seize ans, il la jauge avec mépris, ne voit que ses pulls ringards, sa décoration kitch et les miettes de pain qui se logent à la commissure de ses lèvres quand elle mange bruyamment. Au-delà de ces irritantes surfaces, il y aussi la manipulation et la culpabilisation, mécanismes chers à sa génitrice. Confus par cette relation amour / haine qui l'obsède chaque jour de plus en plus, Hubert vague dans les arcanes d'une adolescence à la fois marginale et typique - découvertes artistiques, expériences illicites, ouverture à l'amitié, sexe et ostracisme - rongé par la hargne qu'il éprouve à l'égard d'une femme qu'il aimait pourtant jadis.
L'histoire de J'ai tué ma mère diffusé ce soir à 22h30 sur France 4 :
Commentaires