Le film d'horreur du réalisateur de Mommy sera diffusé ce soir sur Arte.
A l'occasion de la diffusion de Tom à la ferme sur Arte, à partir de 22h40, nous republions une longue interview de Xavier Dolan que nous avions rencontré en avril 2014.
Laurence Anyways clôturait une trilogie sur l’amour impossible. Mais Tom à la ferme est aussi une histoire d’amour impossible… Oui, cette thématique est au cœur de ma démarche, tout comme les relations mère-fils. Je suis jeune et je me base sur les déconvenues amoureuses que j’ai pu éprouver jusqu’à maintenant. Je pense que je ne me sortirai jamais vraiment de ces schémas. Je viens de là, c’est fait de mon bois, ce sont mes combats, mes débats, mes ébats. De toute façon, pourquoi je me libérerais de quelque chose qui m’inspire ? En même temps, Tom n’a rien à voir avec mes autres films. C’est un thriller sur la violence, l’intolérance.
College Boy, le clip que vous avez réalisé l’année dernière pour Indochine et qui a fait scandale, parle aussi d’humiliation, d’intimidation. Vous en avez été victime vous-mêmes ? Non, je vis à Montréal dans un des plus grands villages gay au monde mais ça ne m’empêche pas de voir ces images qui viennent de la Russie ou même les protestations en France autour du mariage pour tous. Ce clip, ce n’était pas un coup marketing comme on a pu me le reprocher. Je ne veux pas provoquer pour provoquer, je ne suis pas Miley Cyrus - pour laquelle j’ai une forme de respect d’ailleurs. Mon propos n’est pas de montrer ma bite à tout le monde.
Il y a plusieurs films dans Tom à la ferme : un drame sur le deuil, un thriller hitchcockien, un film d’horreur, une comédie noire, un survival… Je sais, on va encore m’imposer des références qui ne sont pas les miennes. Je n’ai pas une grande culture cinématographique. J’ai vu les films « du répertoire » entre 16 ans et 17 ans et demi. Avant, ma cinéphilie était totalement mainstream : Batman, Matilda, La petite princesse, Jumanji… Encore aujourd’hui, je n’ai vu que trois Godard, quatre Truffaut, deux Bergman, et zéro Tarkovski et Eisenstein… Quand j’ai réalisé Tom à l’automne 2012, je n’avais jamais visionné un seul film d’Hitchcock. A Noël, Suzanne Clément (l'actrice principale de Laurence Anyways), qui vivait chez moi, m’a dit : « Bon Hitchcock, va falloir régler ça » et on en a regardé une dizaine. Mes références ne se trouvent pas au cinéma mais dans la photographie ou la peinture. Quand je prépare un film, je me rends dans une boutique de Soho à New York où je découvre toujours quelque chose : des photos de tribus prises par un Américain parti un an en Australie, des clichés de mariage trash en Europe de l’Est, des images de Stillman, Nan Goldin, Marcopoulos. Ca déclenche presque systématiquement mon inspiration.
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Tom à la ferme est adapté d’une pièce de Michel Marc Bouchard qui au départ, est plus comique qu’autre chose. C’est la première fois que vous n’écrivez pas un scénario original. Qu’est-ce que cette pièce avait de si spécial ? Quand j’ai vu la pièce, il y a un moment qui fut une évidence pour moi. La mère faisait une sorte de crise à la Ruth Fisher dans Six Feet Under, elle jetait rageusement à la poubelle une salade de pâtes dont personne ne voulait comme le personnage de Ruth Fisher avec sa salade de patates pleine de mayonnaise. Dans cette scène, on ressentait toute la détresse, la solitude d’une mère qui ne connaît plus ses enfants. La pièce était comique mais ce qui me chauffait, c’était d’en faire un vrai thriller psychologique. Je suis tellement fan du Silence des agneaux. S’il y a une référence cinématographique dans le film, c’est celle-là. Je suis même allé voler un son dans le film. A un moment, Jodie Foster visite le père de la première victime parce qu’Hannibal Lecter l’a mise sur une piste en lui disant « Nos premières victimes sont toujours les gens que l’on convoite et on convoite ce que l’on voit. » - J’ai la chair de poule rien que de le dire ! Là, on entend un crissement de pneu, c’est le son le plus effrayant au monde !
Qu’est ce qui vous décide à jouer dans vos films ? S’il y a un rôle pour moi. Je suis acteur depuis que j’ai quatre ans, ma grande passion sur le plateau, c’est de diriger les comédiens. Jusqu’à maintenant, je me suis toujours donné des rôles un peu ingrats qui mettaient en valeur mes partenaires : Anne Dorval dans J’ai tué ma mère, Monia Chokri dans Les amours imaginaires. Le spot light est sur elles. On parle toujours de mes actrices et jamais de moi, ça me peine. Alors là, je voulais jouer un personnage qui permette peut-être aux gens de me voir comme un bon acteur. J’aimerais vraiment me concentrer sur le jeu, je me bats pour ça.
En plus d’écrire, de réaliser, de jouer et de produire, vous avez fait les costumes, le montage, le dossier de presse etc. Vous n’arrivez pas à déléguer ? C’est pas que je n’y arrive pas, c’est que je ne veux pas. Le montage est l’extension de l’écriture du film, j’écris un film comme je le monte. Quant aux costumes, ils me passionnent. Si je n’avais pas été dans le cinéma, j’aurais été dans la mode. Il y a un comité à Montréal qui sélectionne les artistes pour les nominations à l’équivalent de vos César. Ce comité est constitué de plusieurs corps de métier dont les coiffeurs, maquilleurs et costumiers. Eh bien ils ont fait front commun contre moi pour dire que je ne serai jamais nommé pour les meilleurs costumes parce que je leur enlève du travail. Je ne suis pas en train de revendiquer que je suis le meilleur monteur ou le meilleur chef costumier du Québec, je dis juste que je suis le meilleur pour mes films. Il n’y pas de mégalomanie là-dedans ni d’autocratie ni même de narcissisme.
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Il y a une urgence dans tout ce que vous faites, tout est allé très vite pour vous depuis le début. On a l’impression que vous avez peur de mourir jeune… Absolument. Je suis atteint d’une hypocondrie tentaculaire. J’ai peur de mourir jeune sans avoir eu le temps d’exprimer tout ce que j’avais à dire. Et surtout sans avoir aimé et été aimé en retour.
D’où vient cet esprit de compétition, de battre des records ? Difficile de répondre sans passer pour un gros con…
Vous ne levez jamais le pied ? Non. Je ne sais pas aller dans un club med au Mexique ou en République dominicaine boire des Pina Coladas avec des Allemands dans une grande piscine pleine d’urine. Il faut que j’écrive sinon j’ignore si je suis heureux ou malheureux. Les choses vont toujours trop lentement pour moi. Je suis Egyptien par mon père, d’une nature absolument impatiente. Et Irlandais par ma mère donc alcoolique : la combinaison gagnante ! Cela dit, j’ai envie de souffler. Mon prochain projet, The death and life of John F Donovan, est américain, il va mettre du temps à se monter, je le sens. Alors je vais retourner aux études. A partir de septembre, je vais faire une mineure en histoire de l’art. Je vais vivre la vie que je n’ai pas vécue. Sortir avec des gens de mon âge, avoir des devoirs à faire jusqu’à cinq heures du mat, traîner dans les cafés… Je caresse ce rêve de normalité. J’ai envie de prendre le temps de m’éduquer, d’aller manger avec ma mère, de voir mon père, de visiter ma grand mère, de partir en week-end avec des amis et peut-être, qui sait, me faire un chum.
The death and life of John F Donovan patine ? Le scénario circule entre les mains d’acteurs américains qui prennent un temps indéterminé à le lire… C’est une réflexion sur le show biz moderne, l’histoire d’une correspondance entre une star américaine et un jeune acteur britannique de 11 ans. J’avais donc en tête d’avoir un « all star cast » mais les stars ne me prennent pas au téléphone du premier coup.
Vous vous verriez tourner un jour à Paris ? Je ne connais pas bien Paris, c’est une zone d’inconfort pour moi. Disons que je connais aussi bien Paris que Wong Kar Wai connaît les diners américains et les tartes aux myrtilles !
Interview Stéphanie Lamome
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