Le nouveau film de Scorsese a divisé la rédaction de Premiere. Pour, contre ? Avis et débat à chaud.Dévoilé hier en avant-première, Hugo Cabret a divisé les critiques. Spectacle enchanteur et hommage sidérant au muet pour les uns, pour d’autres, le nouveau film de Martin Scorsese est une oeuvre sans vie et empesée qui montre bien dans quelle impasse se trouve aujourd’hui la carrière du cinéaste. Débat et critique à chaud, en attendant la sortie du film en salles le 14 décembre.POUR Un jour, il faudra dire à quel point les bandes-annonces sont trompeuses. Celle d’Hugo Cabret particulièrement : elle faisait redouter le pire. On a eu droit au meilleur : Hugo Cabret est simplement le film le plus réussi de Martin Scorsese depuis Casino. L’invitation à l’émerveillement à travers la découverte par un jeune garçon mélancolique du secret d’un vieil homme marqué par son temps. Pour le cinéaste du sang et de la violence, c’est un nouveau départ à tous les points de vue : premier film sans DiCaprio depuis 10 ans, premier film en 3D, premier film pour enfants. C’est aussi la première fois qu’il se révèle aussi optimiste et émouvant, sans rien renier de son identité. L’histoire a beau être adaptée du roman graphique de Brian Selznick, Hugo Cabret est un film extrêmement personnel. Ce n’est pas évident dès le début parce que Scorsese s’amuse à brouiller les pistes : un orphelin (Asa Butterfield) a hérité de son père horloger (Jude Law) un automate qu’il répare avec amour, tout comme il entretient les horloges de la gare où il a trouvé refuge. Il ne lui manque qu’une clé pour le faire fonctionner. Hugo Cabret commence donc comme un film à clé qui ouvre plusieurs pistes. L’une est la rencontre d’un garçon (Hugo) et d’une fille (Isabelle/Chloe Moretz). Ils n’ont en commun que le goût de l’aventure, et leurs rôles sont inversés, la fille possédant la clé et le garçon la serrure. Fausse piste donc, ou intrigue secondaire tout au plus (il y en a des dizaines d’autres dans le film, comme celle qui implique le chef de la sécurité incarné par Sacha Baron Cohen, génie comique du niveau de Peter Sellers). Le véritable sujet est ailleurs. C’est le secret du vieil homme (Ben Kingsley) dont il vaut mieux ne rien connaître avant d’avoir vu le film. Mais comme le secret n’est pas très étanche, vous devez déjà savoir que le vieil homme est Mélies, et que le film lui rend hommage.C’est là qu’Hugo Cabret devient très personnel et donc scorsesien. Il est bourré de signes qu’il convient de décrypter mais dont la plupart sont évidents. Hugo évolue dans un monde mécanique de poulies et de roues dentées qui font tourner les horloges. Son parcours montre naturellement les effets du temps, notamment sur Mélies. Le vieil homme apparaît comme un pionnier qui a connu le succès et la gloire. Mais très vite, ses films sont passés de mode et il a été contraint de se ruiner avant de tout abandonner. Scorsese sympathise d’autant plus qu’il est lui-même passé par là, plusieurs fois, s’obligeant à renaître et à se réinventer au prix d’efforts pénibles. Il honore ici un pionnier du cinéma, et il le fait avec la même sincérité et la même passion contagieuse que dans ses documentaires (comme le fantastique Un voyage de Martin Scorsese à travers le cinéma américain). Au passage, il rend aussi hommage aux commentateurs, aux écrivains, et aux historiens de cinéma, ainsi qu’à tous ceux qui cherchent à le préserver et à en transmettre la mémoire. Scorsese est bien placé pour en parler, lui qui préside la Film foundation, société dédiée à la préservation des films.Hugo Cabret est donc un film militant, et la cause est servie par le savoir-faire prodigieux d’un maître en pleine possession de ses moyens. Même s’il débute dans le registre du conte fantastique, Scorsese enfonce allégrement tous ceux qui n’ont fait que ça (Gilliam et Jeunet vont devoir s’incliner, même Tim Burton). Surtout, en s’essayant pour la première fois à la 3D, il ouvre tellement de portes qu’il donne l’impression d’avoir inventé le procédé. La 3D d’Hugo Cabret est sans aucun doute la plus belle, la plus inventive et la plus justifiée depuis Avatar. Scorsese l’utilise manifestement pour servir l’histoire, même s’il maîtrise magistralement ses effets de "ride" : à ce titre, la séquence d’ouverture qui survole Paris avant d’entrer dans les méandres cachés du repaire de Hugo est sidérante. Mais pour l’essentiel, la 3D sert littéralement à montrer l’envers du décor. Scorsese entre dans les coulisses comme Michael Powell dépassait la scène des Chaussons rouges pour montrer que l’action et le drame se poursuivent au-delà des artifices. C’est la magie qui fonctionne ici, et ce n’est pas un cliché.Scorsese ne rend pas seulement hommage à Mélies et à ses artifices, mais à tout le cinéma des débuts, montrant en 3D la réaction des premiers spectateurs effrayés par l’arrivée du train en gare de La Ciotat des frères Lumière. Pour une fois, on nous épargne le vieil antagonisme Mélies/Lumière, cinéma du rêve contre cinéma du réel. Scorsese concilie tous les cinémas, son film est un appel à rassembler tous les publics, jeunes et vieux.Par Gérard DelormeCONTREHugo Cabret, donc, ou le film des premières fois pour Scorsese, une incursion supposée surprenante dans le registre de la 3D et du conte de Noël pour petits et grands, avec son défilé d’enfants mélancoliques aux yeux écarquillés, de gardiens de la paix maladroits et de chiens rigolos. Inédit chez Marty, c’est sûr, mais pas très surprenant pour autant. Ceux qui essaient de trouver un sens à sa filmo post-Casino savent bien que, depuis quinze ans, Scorsese tente de reformuler sa grammaire par tous les moyens entre deux films avec DiCaprio : concert filmé des Stones, pub pour le parfum, "lettre" à Elia Kazan, rockumentaires fleuves sur les idoles Dylan et Harrison, série télé HBO. Alors, tant qu’à faire, pourquoi pas une grosse meringue à la Jeunet designée par un Dante Ferretti déchaîné ?Les premières minutes du film, thématiquement complètement raccord avec l’œuvre passée, offrent aux exégètes l’occasion de respirer. Planqué derrière l’immense horloge de la gare Montparnasse, l’orphelin Hugo Cabret regarde le fourmillement du Paris 1930 exactement comme le petit Henry Hill des Affranchis matait les grossiums mafieux depuis sa chambre de gosse à Brooklyn : pressé de les rejoindre, impatient de comprendre la mécanique du monde. Avec, petite nuance, un George Méliès semi-clochardisé à la place de Paul Sorvino. Le reste du film, lui, redéploie le décorum fantomatique et un peu figé qui forme l’ordinaire des films de Scorsese depuis Gangs of New York, ces mondes blafards, presque inertes, comme sous cloche – de l’Hollywood de l’âge d’or d’Aviator à l’Atlantic City de la série Boardwalk Empire. Une fois les rails du manège installés, le chapiteau dressé, on sait que le problème de Scorsese est de ne jamais vraiment savoir comment électriser son barnum cinéphile. Dans Hugo, coming of age story d’un orphelin apprenant à réparer ses jouets cassés, il est tellement occupé à slalomer entre le sentimentalisme et la ringardise (il les évite, d’ailleurs, malgré l’accordéon et l’odeur des croissants chauds), qu’il oublie en route les grandes promesses du projet, le merveilleux et la féerie enneigée. Rythme anémique, émotions balisées, courses-poursuites jamais drôles entre Hugo et Sacha Baron Cohen.Au bout d’une heure et demie d’ennui poli (oui, c’est long), Scorsese se décide bizarrement à se consacrer à ce qui l’intéresse vraiment : le flash-back sur les golden years de Méliès, l’évocation des premiers temps du cinéma, le mash-up amoureux des bandes merveilleuses du réalisateur du Voyage dans la Lune. Où l’on retrouve le geste de mémorialiste dingo qui faisait déjà le prix des bonnes scènes d’Aviator (les débats sur les seins de Jane Russell) ou du superbe doc Living in the Material World. Emouvant, pour le coup, même si parfumé à la naphtaline. Puis la fable gentillette reprend ses droits, et l’on se remet à suivre le film exactement comme Hugo regarde l’automate que lui a légué son papa : en attendant désespérément qu’il s’anime et prenne vie. On sait bien que sous sa mécanique rouillée se cache un petit cœur qui bat très fort. Mais de là où on est, c’est à peine si on l’entend.Par Frédéric FoubertBande-annonce :
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- REVIEW - Hugo Cabret est-il le chef d’œuvre de Scorsese ou un conte anémique poussiéreux ?
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