Douze films de Truffaut sont sur Netflix, parmi lesquels Fahrenheit 451, le seul film en langue anglaise du réalisateur. Plus de deux ans d’enfer furent nécessaires pour mettre le film en production.
En 1962, François Truffaut a le monde a ses pieds. Le succès des 400 coups et celui de Jules et Jim lui permettent de faire de grands projets. Il rêve d'une aventure qu’il sait titanesque, l’adaptation de Fahrenheit 451, roman d’anticipation signé Ray Bradbury, description d’un futur apocalyptique dans lequel les sentiments n’existent plus et les romans sont brûlés. C’est cette vision des livres en flammes qui a attiré le jeune cinéaste français épris de littérature. Le livre est américain, Truffaut veut donc le filmer en anglais en s’associant à des Américains. Il a, par le biais de sa société Les films du Carrosse, acheté les droits du roman, pour la somme - assez importante pour une production française- de 40000 dollars. Pour le rôle principal de Montag, il a envisagé Charles Aznavour, Jean-Paul Belmondo et Paul Newman. Mais, pour l’instant, rien n’est conclu. Le travail d’adaptation, difficile, a épuisé quatre scénaristes. "Après Fahrenheit, je laisserai tomber les adaptations au profit de scénarios originaux, tout de même plus facile à faire", écrit-il cette année-là. Mais le pire, c’est que le cinéaste peine à trouver de solides partenaires financiers. Un film de science-fiction à l’européenne, personne n’y croit. Le projet s’enlise.
Par deux fois, il croit qu’il a trouvé le producteur idéal et envisage des dates de tournage. En attendant, il tourne un film, La peau douce, et envisage d’en réaliser un second, Bonnie and Clyde. En 1964, l’échec de La peau douce manque de signer un coup d’arrêt à Fahrenheit 451. Les distributeurs ne sont plus très nombreux à se presser autour de lui. Terence Stamp, un jeune acteur anglais encore inconnu, qu’il a choisi pour être son Montag tient bon et promet à Truffaut de l’attendre. Le tournage vient encore d’être décalé à l’été 1965. Truffaut en profite pour apprendre l’anglais au cours d’un stage intensif en janvier et février 1965.
De l'autre côté de l'Atlantique, un jeune acteur américain rêve de jouer Montag devant la caméra de François Truffaut. Il n’est pas encore très connu, mais sa belle gueule en fait un jeune premier qui monte. Il s’appelle Warren Beatty. Il convainc sa dulcinée, la Française Leslie Caron (Un Américain à Paris) d’organiser un déjeuner lors de leur passage à Paris. "Il voulait rencontrer Truffaut", écrit Leslie Caron dans ses mémoires. Toutefois, ne parlant pas un mot de français, le jeune homme préfère ne pas s’imposer et n’apparaît qu’au moment du café pour avancer ses billes. Le courant ne passe pas du tout entre les deux hommes. Néanmoins, le cinéaste va lâcher au cours du déjeuner une info pour orienter les appétits de Beatty dans une autre direction : il vient de lire un très beau scénario d’un film qu’il ne peut pas faire intitulé Bonnie and Clyde. On connait la suite : Warren Beatty va retrouver les scénaristes et produire lui-même ce Bonnie and Clyde qui va changer sa vie.
A l’été 1965, Fahrenheit 451 est en train de reprendre de l’allant sous la houlette du producteur Lewis Allen. Truffaut part à Madrid sur le tournage du Docteur Jivago annoncer à Julie Christie qu’il la veut dans un double rôle. Terence Stamp n’apprécie pas de n’être finalement qu’un second rôle face à son omniprésente partenaire. Il renonce. Aïe ! C’est vers son ami Oskar Werner, le Jules de Jules et Jim qu’il se tourne in extremis pour prendre la relève. A l’hiver 1966, enfin le tournage peut commencer. Pour autant, les ennuis ne sont pas finis. Truffaut n’a pas vraiment progressé en anglais, ses relations avec Oskar Werner sont déplorables.
"Oskar Werner avait cru que son personnage de Montag était un héros, alors que pour moi, c'était quelqu'un de dissimulé et d'incertain, éventuellement d'enfantin. Je renie complètement le résultat de son travail, car on a sur l'écran un personnage auquel on ne comprend rien, une espèce de Burt Lancaster en modèle réduit, un gueulard arrogant et immodeste", dira-t-il plus tard. De larges extraits de son journal de tournage sont disponibles sur le site de la Cinémathèque dans une magnifique exposition virtuelle consacrée à François Truffaut.
Le film reçoit un accueil très mitigé au festival de Venise. Malgré cela, Fahrenheit 451 eut une influence énorme sur nombre de cinéastes dont Martin Scorsese, grand fan de Truffaut, qui le considère comme un film sous-côté.
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