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Après huit années passées à la tête du Théâtre national de Strasbourg, il est depuis janvier 2010 directeur du Théâtre national de la Colline. Explorant « rêves et cauchemars de transgression », le thème de sa saison, il met en scène la pièce de Frank Wedekind, Lulu.Propos recueillis par M.-C. NivièrePourquoi avoir choisi Lulu ?Les gens connaissent plutôt le film de Pabst ou l’opéra d’Alban Berg. Il faut dire que la pièce a été très peu montée. J’ai choisi la première version, celle que Wedekind a écrite à 30 ans. Elle est plus crue, plus vivante, plus folle. Ensuite, il a retravaillé son récit, le normalisant pour passer la censure. Le personnage de Lulu est associé au beau visage de Louise BrooksL’idée que Lulu représente une femme fatale est fausse. Bien sûr, elle est fatale pour la plupart des hommes qui l’approchent, mais elle est loin de l’image froide, calculatrice… C’est surtout quelqu’un d’instinctif, de très jeune. Elle a 18 ans quand la pièce commence, mais elle a gardé quelque chose de l’enfance, ce qui fait fantasmer les hommes. Le thème de la pédophilie marque le personnage. Elle a été prostituée dès l’âge de 3 ans…D’où ce sous-titre, « tragédie-monstre » ?C’est par son côté joueur et enfantin qu’elle séduit les hommes, et par là aussi qu’elle peut survivre à la brutalité de la vie en ne la prenant pas au sérieux. En même temps c’est une sorte de grenade dégoupillée au milieu de la société qui gravite autour d’elle.Wedekind est né en 1864 et vous en 1964, son temps est-il encore le nôtre ?J’ai opté pour des costumes contemporains, pour bien montrer qu’à travers le spectacle on parle du monde dans lequel on vit. Mais j’ai voulu aussi conserver l’imaginaire de Wedekind, sa fantaisie et son humour subversifs. Wedekind est souvent associé à l’idée de la liberté sexuelle, d’un éros libéré. Pour lui, c’est clairement une arme contre la morale bourgeoise. Et pour nous, une arme contre une société dont la seule valeur est l’argent. On imagine bien comment cela devait être monté dans les années 70. Mais Wedekind est aussi sensible à la face noire de l’érotisme… La scénographie fait corps avec votre mise en scène…J’ai imaginé une scénographie mobile assez spectaculaire, qui permet de faire tourner le manège fantasmatique de la pièce dans la première partie. Et ensuite de donner à voir le retour au réel dans la deuxième partie, avec des éléments plus réalistes. On traverse avec humour les formes conventionnelles que la pièce subvertit. La théâtralisation passe aussi par les costumes. Lulu change de nom, d’identité, et donc de vêtement à chaque homme qu’elle rencontre !Treize comédiens, pour une trentaine de personnages, vous êtes un homme de troupe…A la Colline, il n’y a pas de troupe permanente. Mais il y a une « famille » avec laquelle je travaille souvent comme Philippe Girard, Claude Duparfait, John Arnold, Thierry Paret… Il y aussi cinq acteurs qui ont été mes élèves à Strasbourg. Et des nouveaux comme Christophe Maltot, Philippe Faure et Elsa Bouchain. C’est important de faire des rencontres. Quant à Chloé Réjon qui incarne Lulu, elle jouait Nora dans Une maison de poupée d’Ibsen, la saison dernière.De Nora à Lulu, c’est un grand écart !Non, Nora n’est pas complètement à l’opposé. Sa part d’enfance est forte. Je pense même que Wedekind n’aurait pas écrit Lulu sans la pièce d’Ibsen. Mais chez Ibsen nous sommes dans un théâtre de langage, alors qu’ici c’est un théâtre de la pulsion, de l’instant, de l’excès…Depuis son ouverture, il y a un beau rapport entre le public et la Colline.C’est vrai. C’est important d’avoir un grand public, surtout quand les subventions baissent. Je défends l’idée d’un théâtre qui s’adresse directement à nos contemporains, qui parle du monde qui est le nôtre et nous aide à le regarder avec plaisir et jubilation. L’imaginaire fait trembler les cadres, les repères, vibrer les regards. J’essaie de construire chaque saison avec l’objectif de donner envie aux gens de voir tous les spectacles. On a un public très jeune qui représente 30 %. C’est un bon signe. Ils sont en demande d’un théâtre d’aujourd’hui.Lulu au Théâtre de la Colline