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La base de données permet désormais d’identifier les films contenant des femmes. Ce que tout le monde semble confondre avec une initiative féministe.

Classé X ? Non, Classé F. Pour "female". La base de données incontournable du cinéma permet désormais de classer les films en fonction de leur taux de femmes. Ce que tout le monde semble saluer comme une initiative féministe. Sauf qu’on ne parle absolument pas de qualité mais de quantité : le "F rating" vise à mettre en valeur les œuvre écrites, réalisées ou portées par des femmes. Celles qui cumulent ces trois critères bénéficient même d’un "triple F". Une classification qui, du point de vue du cinéma, n’a absolument aucun sens. A l’heure où nous écrivons, 21895 œuvres ont été taguées F sur IMDb, sur 446 329 films répertoriés sur le site (et plus de 3 millions d’œuvres en tout). Où l’on trouve des titres aussi variés que Twilight et Bridget Jones, American Psycho et Wayne’s World, Mr et Mrs Smith et toute la filmo de Woody Allen, Sex and the City et Millenium, Les Indestructibles et La Môme, Blanche Neige et l’intégral des Wachowski… Et qui, du point de vue du féminisme, en a encore moins (du sens) : beaucoup des œuvres nouvellement classées F ne passeraient même pas le test de Bechdel.

Ce classement a été inventée par une Britannique, Holly Tarquini, directrice du Festival du Film de Bath qui voulait attirer l’attention à la fois sur le travail remarquable des femmes dans le cinéma et sur le manque de femmes dans l’industrie. Son but est noble : "atteindre le point où le classement F sera obsolète parce que 50% des histoires qu’on verra à l’écran seront racontées par et sur cette moitié de la population injustement sous-représentée dans les films – les femmes"

Attention, trace de femmes

Cette news arrive à point nommé pour la Journée internationale des droits des femmes. Elle est en tous cas à peu près aussi déplorable. Car si elle alerte sur le manque de femmes dans le cinéma, elle renforce surtout l’opposition primaire homme/femme (male/femelle, même, pour reprendre la terminologie anglosaxonne), source de la misogynie ordinaire qui a conduit à cet état de fait tout aussi déplorable : les femmes ne sont toujours pas considérées comme l’égal des hommes, dans l’industrie du cinéma comme dans la société en général (et encore, on vous parle depuis l’Occident). On en est donc à créer un genre de label pour identifier les films contenant des femmes, un peu comme le label bio - ou les avertissements sur les produits allergènes. Attention, cette oeuvre est susceptible de contenir des traces de femmes. Plus près du sujet, le classé F évoque le classé X, qui est un avertissement destiné à prévenir le public. Attention ! Femmes en vue... Aborder un film non pas en fonction de ses qualités propres mais de son niveau de féminité ne fait que reproduire inlassablement ces constructions sociales et culturelles soulignées par les études gender qui ont abouti à l’inégalité des sexes. Et confond totalement féminisme et féminité. Ce n’est pas parce qu’un film est réalisé par une femme qu’il racontera forcément des histoires de femmes (Wayne’s World !, American Psycho !…). Ce n’est pas non plus parce qu’un film est écrit, réalisé et porté par des femmes - un film "triple F" (on imagine déjà le hashtag aux Oscars) - qu’il œuvre pour l’égalité homme-femme (Twilight !, Bridget Jones !…). C’est encore moins parce qu’un film a une héroïne pour héros qu’il peut être considéré comme féministe (Sex and the City !, Blanche Neige !).

Avec une initiative pareille, le combat féministe a encore de beau jour devant lui.